par Étienne Cousineau
Du 2 au 4 août dernier, le Grand Théâtre de Québec accueillait une production étincelante de La vie parisienne de Jacques Offenbach, dans le cadre du Festival d’opéra de Québec. Cet opéra bouffe, un joyau du répertoire français, a été présenté avec une fraîcheur et une modernité indéniables, transposant le Paris du XIXe siècle dans le glamour exubérant des années 1980. Bien que vocalement et musicalement impeccable, cette version manque malheureusement parfois de l’éclat et de l’humour typiques de l’œuvre originale d’Offenbach.
La direction musicale de Thomas Le Duc-Moreau a parfaitement respecté le style et la vivacité caractéristiques d’Offenbach, ce qui a permis de rendre justice à la partition avec une énergie et une précision remarquables.
La transposition audacieuse de la mise en scène de Jean-Romain Vesperini dans le glamour kitsch et flamboyant des années 80 est une décision courageuse et intéressante. Des références omniprésentes à Cindy Lauper et à Yves Saint Laurent, sans oublier l’esprit fastueux de la série télévisée Dynasty, ajoutent une couche de nostalgie et de fantaisie visuelle. Cependant, l’utilisation excessive du voguing (style de danse urbaine imitant les poses des mannequins avec les mains et les bras autour du visage), bien qu’amusante au départ, finit par paraître répétitive et superflu, diluant quelque peu l’effet comique.
Les décors, les costumes et les éclairages ont été particulièrement bien exploités, créant une atmosphère visuellement séduisante et immersive. Chaque élément visuel a contribué à renforcer l’ambiance et l’époque choisie, faisant de chaque scène un tableau vivant de la décennie ciblée.
Cependant, malgré l’élégance de la mise en scène, il manquait une certaine étincelle et un humour piquant, typiques des œuvres d’Offenbach. La production de Vesperini, bien que soignée, ressemblait à un champagne sans bulles, manquant de cette effervescence et de ce dynamisme qui font la force de cette œuvre et que les mises en scène de Laurent Pelly rendent bien. Certains dialogues auraient pu être resserrés pour maintenir un rythme plus soutenu et ajouter à la vivacité de la performance.
Un exemple frappant de cette perte de dynamisme est le final de l’acte III, un des passages les plus énergiques du répertoire d’Offenbach, mais qui tombe malheureusement à plat. Les interprètes, statiques dans les escaliers, ne parviennent pas à animer cette scène tandis que cinq ou six techniciens manipulent la structure du décor, une manipulation visible qui enlève une part de magie. Il aurait été plus judicieux, à défaut d’avoir un plateau tournant, de costumer ces techniciens ou d’exploiter les danseurs pour faire tourner le décor, rendant l’action plus fluide et intégrée.
L’action de La vie parisienne tourne autour des protagonistes masculins désirant, en vain, assouvir leurs pulsions sexuelles. Pourtant, la production est restée sage de ce côté, enfouissant l’aspect sexy de l’intrigue. Cette retenue a limité l’impact de l’histoire et a empêché la production d’atteindre son plein potentiel ludique et provocateur.
Cela dit, les performances des chanteurs sont irréprochables. Dominique Côté, dans le rôle de Gardefeu, se distingue par une prestation vocale et un jeu d’acteur tout simplement impeccables. Son interprétation apporte une profondeur et une subtilité remarquables, bien que le personnage lui-même semble parfois écrasé par la retenue générale de la production.
Julie Boulianne, en tant que Metella, a incarné une figure sexy et assurée, parfaitement en phase avec les exigences vocales du rôle. Sa présence scénique apporte un souffle bienvenu de sensualité.
Marie-Eve Munger et Jean-Luc Ballestra, dans les rôles du couple suédois, ont également brillé par leurs interprétations. Munger, en particulier, s’est distinguée dans son air du quatrième acte, montrant une facette ludique et amusante du personnage. Sa prestation était si captivante que l’on aurait souhaité la voir et l’entendre davantage.
Mélanie Boisvert, dans le rôle de Gabrielle, a su séduire par sa gestuelle audacieuse et bien ancrée dans l’esthétique pop underground des années 80. Cependant, elle manquait parfois d’aplomb dans les ensembles, où son personnage aurait dû être plus charismatique et fédérateur. Ce rôle, ingrat par nature car peu central à l’intrigue, demande une présence forte pour justifier sa présence sur scène.
Parmi les autres prestations notables, Sophie Naubert dans le rôle de Pauline et Christophe Gay en Urbain et Alfred ont également apporté une contribution significative à la réussite du spectacle.
Malgré une direction musicale solide, le chœur, bien que musicalement précis, a été mal exploité dans les finales d’actes. Ces scènes auraient bénéficié de gestuelles plus dirigées, car les grands moments d’improvisation dans les mouvements ont donné une impression de désorganisation. Une chorégraphie plus structurée aurait apporté une dynamique plus cohérente et énergique. Il faut toutefois saluer la présence de plusieurs générations dans le chœur, ceci donnant un réalisme aux scènes de rassemblements publics.
Les cinq danseurs, bien que excellents, ont trop peu servi la production. Les intégrer au premier plan dans les grands ensembles aurait ajouté une dimension visuelle et dynamique plus forte. Cependant, ils ont apporté un élément visuel sexy et lascif rafraichissant lors du rondo de Metella au quatrième acte.
En somme, cette production de La vie parisienne au Festival d’opéra de Québec éblouit par ses qualités techniques et son esthétique raffinée des années 80, ainsi que par les interprétations vocales irréprochables des artistes. Cependant, l’essence même de l’œuvre d’Offenbach semble quelque peu diluée dans cette version trop propre et mesurée, à laquelle il manque l’énergie et la légèreté moqueuse qui font de La vie parisienne une œuvre intemporelle et joyeusement subversive.
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