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CRITIQUE | L'homme qui rit: une œuvre qui mise sur la voix et l'émotion

Par Caroline Rodgers le 1 juin 2023

La première de l’opéra L’homme qui rit était présentée à la salle Claude-Champagne, le 31 mai 2023. (Photo fournie par le Festival Classica)

Mercredi soir avait lieu à la salle Claude-Champagne la création de L’homme qui rit, opéra d’Airat Ichmouratov sur un livret de Bertrand Laverdure d’après le roman  de Victor Hugo, en version concert avec projections. Une œuvre romantique, démesurée, magnifique, servie par une excellente distribution, et qui redonne à la voix la place et le traitement qu’elle mérite.  

Il s’agissait de la première production du Nouvel Opéra Métropolitain (NOM), une initiative lyrique lancée cette année par le Festival Classica et qui présentera deux autres productions dans la même salle au cours des prochaines semaines: L’Adorable Belboul, de Jules Massenet et Miguela, de Théodore Dubois.

La distribution était composée d’Hugo Laporte, baryton (Gwynplaine), Janelle Lucyk, soprano (Gwynplaine enfant), Jean-François Lapointe, baryton (Barkilphedro), Marc Boucher, baryton (Ursus), Magali Simard-Galdès, soprano (Dea), Florence Bourget, contralto (la Duchesse Josiane), Sophie Naubert, soprano (Fibi) et Antonio Figueroa, ténor (Lord David).

Airat Ichmouratov dirige lui-même l’Orchestre du Festival Classica, qui prend place sur la scène, puisque la salle Claude-Champagne ne dispose pas de fosse. Ceux qui connaissent la musique du compositeur savent déjà qu’elle est tonale, d’inspiration romantique, et très mélodique. C’est encore le cas, et compte tenu qu’il s’agit d’une œuvre de Victor Hugo, grand écrivain romantique français, le choix de lui avoir commandé cette œuvre est tout à fait logique et judicieux, d’autant plus qu’Ichmouratov assume pleinement son style. Il n’a que faire des diktats de la création contemporaine et de ses impératifs d’innovation. De plus, sa musique démontre qu’il a bien compris le roman de Victor Hugo et son ambiance.

 

Airat Ichmouratov, compositeur. (Photo : Mireille Gaza)

Les émotions et la voix en valeur

Riche, pour ne pas dire luxuriante et très mélodique, sa partition place l’expression des émotions au centre, et le traitement des voix permet à celles-ci de s’épanouir pleinement. Il faut le dire: ça fait du bien d’entendre enfin une création qui met de l’avant la beauté de la voix de ses interprètes.

Trop souvent, depuis quelques années, nous avons eu droit à des compositeurs qui semblent ne pas trop savoir comment traiter la voix humaine ou qui l’abordent avec une forme de maladresse qu’ils n’ont pas avec les autres instruments. La voix semble presque un inconvénient parmi des concepts désincarnés et ce qui ressemble à une volonté de prouver que l’on peut inventer quelque chose de nouveau. On lui colle des notes, un traitement musical, certes, mais qui trop souvent, n’est pas en adéquation avec les paroles, et ne nous permet pas d’apprécier les artistes lyriques à leur plein potentiel.

Avec L’Homme qui rit, c’est tout le contraire qui se produit : les interprètes brillent de mille feux et on leur a confié un texte et une partition qui ont le pouvoir de donner vie et substance aux personnages qu’ils incarnent et à ce que qu’ils ressentent. Encore là, on est en pleine philosophie romantique et je ne vois pas de raison de bouder notre plaisir.

Très théâtral, classique et respectueux du roman dont il s’inspire, le livret de Bertrand Laverdure fait ressortir les aspects poétiques de L’homme qui rit et nous révèle habilement, à travers les airs et les dialogues, les états d’âme et la vie intérieure des personnages.

Dans l’introduction de ce livret, publié sous forme de livre par Dramaturge Éditeurs, l’auteur explique qu’il s’est attaché à faire ressortir l’aspect social du roman de Hugo, qui se voulait politique par sa dénonciation des inégalités sociales. Un thème malheureusement encore bien d’actualité.

 

Magali Simard-Galdes
Magali Galdès-Simard, soprano. (Photo : Brent Calis)

Les interprètes

Dans l’ensemble, tous les chanteurs et chanteuses de la distributions nous ont offert une prestation quasi impeccable, mais il faut souligner quelques artistes qui se démarquent: Jean-François Lapointe, impressionnant par sa puissance, Magali Simard-Galdès, au sommet sur le plan vocal (elle est, par moments, carrément renversante) ainsi que Sophie Naubert, jeune soprano dotée d’une voix superbe et d’une présence sur scène magnétique canalisant sa musicalité naturelle.

C’est à Sophie Naubert que revient le plus bel air de tout cet opéra, et qui est simplement intitulé Air de Fibi. Une pure merveille qui ferait le bonheur des mélomanes comme air de concert dans n’importe quel programme d’orchestre, et qui donne l’occasion à la chanteuse de nous émouvoir.

Les autres (Marc Boucher, Florence Bourget, Hugo Laporte, Antonio Figueroa) nous offrent une prestation tout à fait juste. On remarque toutefois qu’Hugo Laporte semble un peu fatigué, non dans sa voix, mais à travers son attitude physique sur scène.

La soprano Janelle Lucyk, dont le rôle est très court, a la voix cristalline idéale pour incarner ce personnage d’enfant. Il faut ajouter que plusieurs duos, trios et quatuors vocaux apportent énormément de richesse et de plaisir à l’ensemble.

D’autre part, le chœur (il s’agit de l’Ensemble ArtChoral, fondé par Matthias Maute), séparé avec les femmes d’un côté et les hommes de l’autre aux balcons latéraux avant, donne du relief et amplifie l’aspect dramatique de certaines scènes. Sa présence est une véritable valeur ajoutée à l’œuvre et à la production.

Surtitres

Nous arrivons ici au seul aspect négatif de cette production: l’absence de surtitres. Par manque de budget, peut-être, ou encore parce qu’on a pensé que ce n’était pas nécessaire compte tenu du fait que l’œuvre est en français, on a décidé de ne pas en mettre. Or, quelle que soit la langue, il est fréquent, à l’opéra, que l’on ne comprenne pas toutes les paroles.

Nous avons donc ici une version concert, c’est-à-dire sans déplacements, costumes ou mise en scène qui nous permettraient de mieux comprendre l’action grâce au contexte, et de surcroît sans surtitres pour suivre ce qui s’y passe.

Malgré la bonne diction des chanteurs (bravo à Marc Boucher pour sa prononciation des plus claires), il n’est pas exagéré de dire que l’on ne comprend pas environ 50% des paroles qu’ils chantent et bref, que l’on ne comprend pas tout à fait l’histoire. Plusieurs spectateurs l’ont d’ailleurs mentionné à l’entracte.

Il fallait déjà connaître le roman, avoir vu le film de 2012 avec Gérard Depardieu et Marc-André Grondin, ou lu le livret avant d’y aller. Ceux qui n’ont pas eu l’occasion de connaître l’histoire d’une façon ou d’une autre se seront sans doute sentis perdus par moments.

Les surtitres, à l’opéra, ne sont pas un luxe. Je ne connais pas les aspects techniques ni les coûts que cela implique, mais puisqu’il y avait des projections (basées sur des illustrations du talentueux Maxime Bigras et réalisées par Lumifest en cavale/Dominique Arcand), on aurait aussi bien pu avoir des surtitres.

Comprendre l’histoire n’est pas non plus un luxe.

Il faut également mentionner que ces 2 heures 45 minutes avec un seul entracte comportent de petites longueurs ici et là, et qu’il serait peut-être opportun de resserrer le tout, par exemple en coupant un peu dans quelques dialogues, notamment ceux impliquant la Duchesse, Barkilphedro et Lord David.

 

Marc Boucher, directeur artistique du Festival Classica. (Photo: courtoisie)
Marc Boucher, directeur général et artistique du Festival Classica. (Photo: courtoisie)

Bilan

Pour servir une œuvre aussi ambitieuse, voire grandiose, il faudra un jour une production à grand déploiement. Nous comprenons tout à fait les impératifs économiques et même écologiques mentionnés par Marc Boucher dans ses entrevues aux médias et dans l’énoncé des objectifs écoresponsables du Festival Classica, qui sont louables. Toutefois, L’homme qui rit mérite une autre chance, dans un contexte à sa hauteur, soit de faire l’objet d’une production d’envergure avec des décors plus élaborés, des costumes et une mise en scène, car ici, la sobriété va à l’encontre de ce roman et de l’opéra.

Quoiqu’il en soit, avec cette première production, le Nouvel Opéra Métropolitain démontre qu’il pourrait bien s’imposer dans l’avenir comme une force à même de revitaliser l’art lyrique québécois, à condition qu’on lui donne les moyens financiers de ses ambitions.

C’était la seule représentation prévue pour L’homme qui rit. Grâce au NOM, on pourra toutefois découvrir deux autres opéras, soit L’adorable Belboul, le 6 juin, et Miguela, le 14 juin.

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