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CRITIQUE | Harmonium symphonique: surenchère et grandiloquence

Par Caroline Rodgers le 7 octobre 2022

Harmonium symphonique, salle Wilfrid-Pelletier, 6 octobre 2022 (Photo: J.S. Désilets)
Harmonium symphonique, salle Wilfrid-Pelletier, 6 octobre 2022 (Photo: J.S. Désilets)

Hier soir avait lieu la première de la trilogie montréalaise Histoire sans paroles – Harmonium symphonique, avec l’Orchestre symphonique de Montréal, sous la direction de Dina Gilbert, à la salle Wilfrid-Pelletier. Le spectacle présente les pièces d’Harmonium écrites par Serge Fiori et ses collaborateurs dans une adaptation symphonique de Simon Leclerc. 

Disons le d’emblée, je n’ai pas été particulièrement emballée par le spectacle et les adaptations de Simon Leclerc, que j’ai trouvées, la plupart du temps, lourdes et grandiloquentes. Ce n’est pas le cas pour toutes les pièces, car en près de deux heures de musique symphonique élaborée à partir de l’œuvre d’un génie, il y a, bien sûr, de très beaux moments.

Visuels

Il s’agit d’un spectacle à grand déploiement qui a recours à des moyens considérables, avec un traitement visuel important. Des projections très élaborées, que la production qualifie de « tableaux vivants » sont présentes en continu derrière l’orchestre. On verra divers décors en mouvement: ville futuriste, souterrain, formes géométriques, ciel nuageux et forêt parsemée de champignons lumineux à la Avatar. Cette conception visuelle a été réalisée par PixMob et les projections, par Noisy Head Studio.

La direction artistique est de Nicolas Lemieux, qui est également producteur de ce projet ambitieux. C’est aussi lui qui est derrière un autre projet commercial avec l’OSM et Simon Leclerc: Bébé symphonique, ainsi que l’idéateur et le producteur d’un projet en développement, Riopelle symphonique, qui verra le jour en 2023.

Tout au long du spectacle, un banc de parc et une échelle descendent d’un grand trou au plafond de la scène, puis remontent, tandis qu’un homme et un enfant interagissent ensemble et avec ces objets. Il s’agit, on présume, d’allusions aux paroles des chansons de L’Heptade, notamment dans Le premier ciel (Chacun devient le premier homme; Sorti d’une autre forme; La terre lui fournit un visage; La lune lui donne son langage; S’il pouvait voir le premier ciel; Avant qu’on lui coupe les ailes – « L’enfant deviendra grand; Quand ses jouets vivront sur place ») et L’Exil (« C’est moi le crisse de fou qui marche au-dessus de la ville »).

Leur présence finit toutefois par agacer, car elle est plaquée artificiellement sur tout le reste, sans rapport clair avec les projections et sans évolution, comme si on s’était senti obligé d’ajouter une couche mais qu’on n’avait pas su bien l’exploiter. Ça tourne en rond. Mais à la fin, l’homme a effectivement des ailes. D’autre part, ce dispositif de banc qui monte et descend m’a fait penser à certains spectacles de musique pop ou rock que l’on peut voir dans les grands amphithéâtres comme le Centre Bell, je pense, entre autres, à Peter Gabriel et à son inoubliable cabine téléphonique sortant de scène. Sauf que, justement, c’était dans les années 90.

Autre élément, celui-là énigmatique: sept personnages un peu effrayants à têtes de lapin qui m’ont tout de suite fait penser au lapin horrible du film Donnie Darko. Ils apparaissent puis repartent de temps à autres. Cette fois, on peut imaginer qu’il s’agit d’une allusion aux lapins de la pochette de Si on avait besoin d’une cinquième saison? Mais tant qu’à faire un lien avec cette magnifique illustration, je me demande pourquoi on n’a pas plus exploité son esthétique dans les projections.

 

Kim Richardson (Photo JS. Désilets)

Musique

Les chansons des trois albums d’Harmonium sont présentées dans un ordre qui en fait une sorte de longue suite orchestrale presque continue, et non dans l’ordre précis des pièces sur les albums.

Depuis 2008, je couvre régulièrement l’OSM et j’ai assisté à la plupart des adaptations symphoniques de Simon Leclerc pour des concerts avec des artistes pop tels que Mika, Cœur de Pirate, Les Trois Accords et plusieurs autres. Il a toujours eu le don d’amener la musique de les artistes ailleurs, dans un monde musical plus élaboré et recherché que leurs chansons originales, nous émerveillant par son imagination et les couleurs orchestrales qu’il sait exploiter pour amener des ambiances inattendues et déstabilisantes. C’est un maître de ce qu’il convient d’appeler les « adaptations symphoniques » car on ne peut parler de simples arrangements ni même d’orchestrations, tellement ses interventions sur les pièces sont élaborées et sophistiquées.

Cette fois encore, on retrouve des idées, des traitements instrumentaux et des procédés compositionnels puisés à l’immense répertoire classique, exploitant à fond les possibilités de l’orchestre. Toutefois, comme la musique de Serge Fiori est déjà, à la base, assez élaborée et carrément géniale, on se retrouve avec une surenchère d’idées superposées et malheureusement, des effets souvent pompeux et grandiloquents. De combien de finales appuyées, fortissimo, triomphales et bref, over the top avons-nous vraiment besoin dans un même concert?

Une notion est aussi oubliée: celle de « progressif ». On dirait que la volonté d’être grandiose étouffe la poésie, et nous avec. J’aurais préféré un traitement orchestral qui découpe davantage les interventions des différentes sections de l’orchestre et nous propose des couleurs plus douces et plus subtiles, que le tout puisse respirer. Dans ce contexte, les magnifiques interventions à la guitare de Sylvain Quesnel sont comme une bouffée d’air frais, un baume qui nous ramène à l’essentiel et auquel on s’accroche.

Je sais que Simon Leclerc déteste que l’on emploie le terme « cinématographique » pour décrire son travail, mais il y a tout de même beaucoup de ça ici, je parle de musique de film conventionnelle. À plusieurs reprises, le tout sonne aussi un peu comme une fanfare, assez pompeuse. J’ai été particulièrement exaspérée par cette version de Dixie, pourtant l’une de mes pièces préférées du groupe mythique. Hélas, le solo de clarinette y est complètement enterré par les cuivres.

L’amplification, qui écrase les textures et amalgame les timbres instrumentaux en un seul « gros son » un peu artificiel et même métallique, contribue évidemment à cet effet de « tout est trop » que dégage la production. Cela dit, l’exécution de l’OSM est impeccable et la direction de Dina Gilbert est énergique, précise et rigoureuse, comme toujours.

Comme l’indique le titre du spectacle – emprunté à ce qui est à mon avis la plus belle pièce d’Harmonium, Histoire sans paroles, il n’y a pas la moindre parole de chansons dans ces deux heures. C’est un spectacle instrumental. Le Chœur des jeunes de Laval intervient plusieurs fois avec des « la-la-la », Kim Richardson (voix superbe et maîtrisée, présence charismatique) chante des « hou-hou » dans L’Exil, et Luce Dufault fait les « daahahhh » d’Histoire sans paroles. Celle-ci a le timbre de voix parfait pour la chanson, mais malheureusement, elle défaille ou « craque » pendant une seconde. Peu de gens, sans doute, l’auront remarqué.

Parlant d’Histoire sans paroles, il s’agit de la pièce la plus réussie du spectacle, qui nous plonge véritablement dans l’ambiance de rêve et de poésie de l’originale et garde sa substance.

Je suis convaincue que bien des spectateurs auront été émerveillés par cette proposition artistique grandiose et tout à fait valable, épatés par les projections, ou émus par la musique. Pour ma part, grande admiratrice d’Harmonium, je suis perplexe à savoir si le traitement symphonique de ces pièces était, finalement, une bonne idée. Le moment le plus émouvant est le rappel, alors que la cheffe se tourne vers la foule et qu’on chantera tous ensemble les fameuses lignes d’Un musicien parmi tant d’autres.

Où est allé tout ce monde, qui avait quelque chose à raconter? On a mis quelqu’un au monde, on devrait peut-être l’écouter? 

Ce genre de moments qui nous donnent à penser que, comme peuple, nous ne sommes pas encore morts.

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