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CRITIQUE | Albertine en cinq temps, l'opéra: bouleversant

Par Caroline Rodgers le 9 septembre 2022

De gauche à droite: Monique Pagé, Chantal Dionne, Chantal Lambert, Florence Bourget, Catherine St-Arnaud. (Photo: Véronique Duplain)
De gauche à droite: Monique Pagé, Chantal Dionne, Chantal Lambert, Florence Bourget, Catherine St-Arnaud. (Photo: Véronique Duplain)

Hier soir, 8 septembre, avait lieu la première médiatique de l’opéra Albertine en cinq temps, adaptation de la pièce de Michel Tremblay sur une musique de Catherine Major dans une mise en scène de Nathalie Deschamps, au Rideau Vert. Un spectacle totalement réussi, authentique et bouleversant. Critique. 

C’est avec curiosité et un brin de scepticisme que je me dirigeais vers le théâtre, hier soir, en me demandant ce que pourrait bien donner le mélange des voix lyriques au joual, bien que j’adore l’œuvre de Michel Tremblay.  Pour connaître Catherine Major à travers ses albums, j’étais certaine qu’elle écrirait de la belle musique, mais la composition d’un opéra entier représente tout de même un énorme défi pour quiconque, et j’avais hâte d’entendre le résultat.

Celui-ci n’a pas déçu, au contraire: ce fut une heure et demi de « wow » et d’émotions intenses. La musique de Catherine Major est sobre, magnifique, fluide, émouvante, teintée de mélancolie. Elle transmet parfaitement l’atmosphère de la pièce et la vie intérieure d’Albertine. On y reconnaît aussi une forme d’humilité, celle d’une compositrice qui n’a pas besoin de « prouver » à ses collègues du métier qu’elle innove, mais met plutôt ses idées et son cœur au service de l’histoire, des personnages et de la beauté.

La très belle partie instrumentale est donc assurée par cinq musiciennes:  Marie-Claude Roy (excellente pianiste, et directrice musicale), Mélanie Vaugeois, Élise Poulin, Annie Gadbois, et Anaïs Vigeant. 

La pièce

Pour ceux qui ne connaîtraient pas l’intrigue, voici un résumé ne dévoilant pas de punchs. Albertine, 70 ans, se retrouve dans une résidence pour personnes âgées, dans sa petite chambre. Elle pense à son passé, à sa vie difficile, aux tragédies qui l’ont marquée.

Quatre autres personnages apparaissent. C’est elle, à d’autres âges: 30 ans, 40 ans, 50 ans et 60 ans. Cinq Albertines qui se parlent de points de vue différents, selon la réalité, les sentiments et la compréhension propres à leur âge. Il y a aussi Madeleine, sa petite sœur, qui représente le bonheur d’une vie simple avec son mari, ce bonheur qu’Albertine n’a jamais connu, parce qu’elle se sent différente, parce qu’elle a du mal à communiquer.

Créée en 1984, la pièce originale est intemporelle. En 2022, les réalités d’Albertine sont encore bien présentes: la condition féminine, les affres de la maternité, la dépression, l’injustice, la colère, l’isolement, le vieillissement, la solitude. Le fait d’y mettre de la musique amplifie les émotions et la tension dramatique, faisant résonner le texte de Michel Tremblay avec encore plus de vigueur.

Albertine est incarnée à 70 ans par Chantal Lambert, soprano; à 60 ans par Monique Pagé, soprano, à 50 ans par Chantal Dionne, soprano, à 40 ans par Florence Bourget, mezzo, et à 30 ans par Catherine St-Arnaud, soprano. Marianne Lambert, soprano, incarne sa sœur Madeleine. Disons le d’emblée: toutes sont excellentes, crédibles et renversantes dans leurs airs respectifs.

 

Albertine en cinq temps, l'opéra. (Photo: Véronique Duplain)
Albertine en cinq temps, l’opéra. (Photo: Véronique Duplain)

Toutes ces artistes de talent évoluent dans une ingénieuse scénographie à deux niveaux. Au premier niveau, chaque Albertine a sa porte, dont elle entre et sort aux moments opportuns, dans un jeu de va-et-vient qui apporte du dynamisme à l’ensemble. Le niveau deux forme une immense lune découpée dans le mur, dont la face bouge, change de couleur, et nous laisse entrevoir, derrière, les musiciennes. La seule comédienne qui se déplace entre les niveaux est Marianne Lambert (Madeleine).

Visuellement, il se passe toujours quelque chose, sans que le spectateur soit pour autant submergé par une multitude de gadgets inutiles. Tout est pensé en fonction de la mise en valeur du texte, de la musique et des personnages. À travers toutes ces ouvertures (les portes, la lune) de superbes éclairages, dont les couleurs changent en fonction de l’évolution du scénario, complètent le tout.

Un bon équilibre a été conservé dans le livret (signé par le Collectif de la Lune Rouge, qui s’est basé sur la pièce originale de Tremblay), entre les dialogues parlés et les airs individuels, ainsi que quelques chœurs de toutes les chanteuses. Le rythme est fluide, on se laisse emporter et il n’y aucun temps mort. Une heure et demie sans entracte où l’on oublie tout le reste pour être, nous aussi, un petit peu Albertine.

Albertine en cinq temps, l'opéra. (Photo: Véronique Duplain)
Albertine en cinq temps, l’opéra. (Photo: Véronique Duplain)

Les chanteuses

Chantal Lambert représente avec solidité le noyau, Albertine au présent, la femme qui malgré ses difficultés – ou à cause d’elles – a acquis une certaine forme de sagesse et tente de rester positive, mais se retrouve face au vieillissement dans une solitude absolue.

Il faut dire que la distribution est parfaite, et la direction d’actrices aussi : chaque chanteuse est idéale dans son rôle et nous transmet avec conviction l’état d’esprit spécifique d’Albertine à ce moment de sa vie.

La présence sur scène et la force du jeu de Monique Pagé impressionnent. C’est elle la trouble-fête, la dépressive, la personne brisée par une tragédie qui n’a pas encore su s’en détacher. Vocalement, elle est impeccable.

Chantal Dionne (Albertine à 50 ans) m’a fait pleurer. C’est sans doute elle qui a le plus bel air, ou peut-être, devrais-je écrire, l’air qui se rapproche le plus de ma réalité…non seulement chante-t-elle bien, mais elle est incroyablement vraie dans son rôle de l’Albertine qui se veut heureuse, libre et indépendante.

Dans le passé, je n’ai pas toujours été positive envers Florence Bourget dans mes critiques, mais je dois dire qu’hier soir, elle m’a renversée par son jeu, sa vérité, sa colère, et surtout, la beauté de sa voix. Bravo.

Catherine St-Arnaud a certainement hérité de l’air le plus difficile, probablement titré « La rage », qui comporte beaucoup d’aigus et de vocalises. Elle s’en tire avec brio, malgré quelques aigus perçants, que l’acoustique n’aide pas. Elle s’avère, elle aussi, une excellente comédienne, qui se donne entièrement sur scène.

Marianne Lambert chante merveilleusement, comme elle le fait toujours, et s’avère aussi un excellent choix pour Madeleine, jeune femme qui aime la vie et tente de comprendre Albertine, et de lui faire aimer la vie à elle aussi.

Pour le texte poignant de Michel Tremblay bien sûr, mais aussi les qualités de la musique, de la mise en scène, du décor, les excellentes chanteuse et comédiennes, bref, pour l’ensemble de la production Albertine en cinq temps, dans cette forme lyrique, aura, j’en suis persuadée, un grand succès.

D’autres représentations sont prévues ce weekend au Rideau Vert, et une tournée de plusieurs villes au Québec aura lieu de mars à novembre 2023. DÉTAILS ET BILLETS

Un album paraîtra également le 25 novembre 2022 sur ATMA Classique.

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