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CRITIQUE | Yourcenar: cette île dépourvue de passions

Par Caroline Rodgers le 5 août 2022

Stéphanie Pothier et Hugo Laporte dans Yourcenar: une île de passions, 2022. (Photo: Kevin Calixte)
Stéphanie Pothier et Hugo Laporte dans Yourcenar: une île de passions, 2022. (Photo: Kevin Calixte)

Après le Festival d’opéra de Québec, Yourcenar: une île de passions était présenté en première à Montréal hier soir, salle Pierre-Mercure, par l’Opéra de Montréal. L’opéra d’Éric Champagne sur un livret d’Hélène Dorion et de feu Marie-Claire Blais raconte des moments dans la vie de l’écrivaine Marguerite Yourcenar. 

L’œuvre, en deux actes, dure près de deux heures. Le titre est trompeur, car il y a peu de passion dans cette histoire, bien qu’elle présente deux relations de la femme de lettres, soit celle avec sa compagne et traductrice Grace Frick, avec qui elle vit sur une île, dans le Maine, et la seconde,  une relation que l’on pourrait qualifier de codépendance platonique avec un jeune réalisateur, Jerry Wilson.

S’il faut mettre le doigt sur ce qui cloche dans l’œuvre, je le pointerais du côté du livret, problématique à plusieurs égards, et ce, surtout au premier acte. Il est difficile de croire que deux écrivaines renommées ont signé ce texte qui, s’il a ses moments forts, ressemble souvent à un synopsis, de par son caractère platement descriptif.

Souvent, les personnages décrivent ce qu’ils font au lieu de le vivre et de nous le montrer. Tout le contraire du « show, don’t tell », devise d’écrivain ou principe narratif qui consiste à faire comprendre ce qui se passe au lecteur (ou dans le cas d’une pièce de théâtre, au spectateur) par déduction et observation, en lui montrant par divers procédés, pour qu’il saisisse le sens de l’histoire. C’est une biographie chantée qui comporte peu de substance, de métaphores, de symbolisme et de niveaux de lecture. Sans parler de l’absence de tension dramatique.

À l’exception de Yourcenar, les personnages ont peu de profondeur. On ne sait pas ce qu’ils ont dans le cœur, on ne sait pas s’ils ont des tripes. Et quel est le message? La réflexion? On ne sait pas trop. Marguerite Yourcenar a existé, elle avait des conflits intérieurs, elle a aimé des gens, elle a vécu du sexisme de la part des autres Académiciens, mais encore? Le chœur, dont le rôle consiste principalement à servir de narrateur, renforce cette impression avec des phrases dignes de Wikipédia, comme « Yourcenar est la première femme élue à l’Académie française ». Merci!

Au premier acte, Marguerite et Grace sont seules sur l’île. Il ne se passe rien, il n’y a pas de décor, tout est gris, beige et statique, sauf heureusement, la musique. Certes, on ne s’attendait pas à ce que la vie de l’écrivaine française soit très rocambolesque, mais il existe une multitude de stratégies d’écriture pour mettre de la magie et des niveaux dans une histoire afin de stimuler l’imagination et l’intérêt de l’auditoire. Bien entendu, les autrices ont le droit d’écrire comme elles veulent, mais on a aussi le droit de trouver cela ennuyeux.

On a un peu l’espoir de voir enfin naître une intrigue lorsque Marguerite, recevant une malle, trouve le manuscrit des Mémoires d’Hadrien. Si cela avait été un film, c’est par cette scène prometteuse que le scénariste aurait commencé. Mais dans un souci presque didactique, on passe vite à autre chose pour démontrer l’engagement politique et les convictions pacifistes et environnementales de Yourcenar au lieu d’exploiter pleinement le filon du manuscrit retrouvé.

Le deuxième acte est mieux, car une intrigue (tout de même assez mince) se forme, avec de véritables dialogues. On se transporte sur un bateau de croisière. Le moment le plus touchant est celui où une chanteuse (incarnée par Suzanne Taffot, sublime et magnétique) illumine la scène, sous un ciel étoilé créé par des projections, avec un air qui rappelle un peu Vissi d’arte. Il est tout de même ironique que l’un des moments touchants d’un opéra contemporain soit un clin d’œil à la musique du passé.

La musique

Éric Champagne est un compositeur talentueux et expérimenté, cela s’entend dans la partition d’orchestre, jouée avec grand art par Les Violons du Roy, sous la direction efficace et minutieuse de Thomas Le Duc-Moreau. Une partition qui respire, qui a sa propre vie, dense, pleine de relief et de beauté, avec des lignes remarquables, entre autres pour la flûte et le violoncelle. L’écriture pour la voix est toutefois assez  redondante et il me semble qu’à l’occasion, l’emphase est placée sur les mauvais mots ou les mauvaises syllabes.

Les interprètes

À toute la distribution, je dis « chapeau » d’avoir réussi à insuffler de la vie à ce texte anémique. Les chanteurs et chanteuses sont irréprochables. Stéphanie Pothier, digne et solide dans le rôle-titre, est admirable. Sa voix est chaude, maîtrisée, magnifique. Kimy McLaren est tout aussi excellente dans le rôle de Grace. Quant à Hugo Laporte (Jerry), il prouve une fois de plus qu’il peut être crédible dans des rôles très variés, d’Escamillo à ce jeune éphèbe en passant par la comédie musicale et le Fantôme de l’opéra, et bien d’autres. Quel talent.

Les personnages secondaires sont aussi fort bien rendus par Pierre Rancourt (le capitaine du bateau), Jean-Michel Richer (Daniel), Suzanne Taffot (la chanteuse), tandis que le chœur apporte du mouvement à l’ensemble.

La mise en scène d’Angela Konrad est minimaliste et dispose de peu de moyens, mais le tout passe bien, avec de beaux éclairages et des projections judicieuses.

Y aller ou ne pas y aller?

Une seconde représentation a lieu le 6 août, 19 h 30, salle Pierre-Mercure.

Allez-y si vous êtes cet opéravore qui veut tout voir, ce mélomane patriotique qui veut encourager notre opéra, ce lecteur qui aime Marguerite Yourcenar.

N’y allez pas si votre but est de vivre ces émotions, ces questionnements, cet enchantement et ce mystère que l’art nous apporte lorsque toutes les étoiles sont alignées.

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