L’Orchestre classique de Montréal retournait jouer devant son public, hier soir, à la salle Pierre-Mercure, pour le concert Échos des steppes, qui mettait l’Europe de l’Est à l’honneur mais rendait avant tout hommage à l’Ukraine.
Dans l’auditoire, plusieurs personnes portaient des chemises brodées traditionnelles ukrainiennes. C’était également le cas de Taras Kulish, directeur général de l’OCM, qui a adressé un mot de bienvenue au public, évoquant avec émotion le pays natal de ses parents, encore une fois menacé de perdre son autonomie. Le hasard est incroyable et digne de mention : ce programme n’a pas été décidée à la dernière minute en raison des tensions actuelles entre Moscou et Kiev, mais bien il y a plus d’un an.
Il est très rare qu’une critique de concert fasse mention des commanditaires, mais dans ces circonstances, il est pertinent de rappeler que cette soirée recevait l’appui financier de la Fédération nationale ukrainienne – Branche Montréal, et de la Fondation Shevchenko, Boris Horodynsky fonds de musique.
Le concert rendait aussi hommage à l’honorable Marlene Jennings, ancienne députée et avocate à la retraite, à qui l’on a remis, en cadeau, une baguette signée du chef Boris Brott.
Kurelek et Kuzmenko
La première pièce était Melodiya, du compositeur ukrainien Myroslav Skoryk, décédé en 2020. C’est Evgenii Sakmarov, assistant chef, qui dirige. Une pièce courte, simple, mélancolique et très émouvante, qui est devenue avec le temps une sorte d’hymne pour le pays, nous a-t-on expliqué. Bien qu’elle porte la tristesse, on y entend aussi l’espoir et le courage et la résilience.
Elle sera suivie d’une création : La suite de Kurelek, de la compositrice ukraino-canadienne Larysa Kuzmenko, aussi professeure à la Faculté de musique de l’Université de Toronto. L’œuvre est une commande de l’OCM à Kuzmenko. Présente, elle nous décrit cette suite en six mouvements, inspirée de tableaux du peintre ukraino-canadien William Kurelek (1927-1977), né en Alberta.
Les tableaux correspondant aux mouvements de la suite sont projetés sur le fond de la scène. Certains sont intrigants et mystérieux, porteurs de symbolisme, tandis que d’autres évoquent des scènes champêtres dont se dégage tout de même une gravité, comme si un drame secret pesait sur ce paysage. On ne sera pas surpris de lire que le peintre a souffert de dépression et autres problèmes psychiatriques, car ils transparaissent dans son art. De conception assez traditionnelle et s’inspirant de toute évidence du folklore, la suite de Kuzmenko traduit parfaitement l’ambiance des tableaux qui l’ont inspirée de même que l’esprit des steppes, dont ce concert se veut l’écho. L’ensemble de la suite produit une forte impression et dégage une grande unité esthétique.
De l’harmonieuse Sérénade pour cordes en mi majeur de Dvorak, un grand classique du répertoire des orchestres de chambre, il n’y a pas grand-chose à dire. L’exécution de l’orchestre est correcte mais un peu routinière et Boris Brott, qui l’a sûrement dirigée une centaine de fois, se retrouve dans sa zone de confort.
L’électrisant Serhiy Salov
Amenant au concert une forte dose d’énergie et de dynamisme, l’entrée en scène du pianiste Serhiy Salov est certainement la sensation de la soirée. Avec la trompettiste Karen Donnelly, ils interpréteront le surprenant Concerto pour piano, trompette et cordes de Chostakovitch, qui contraste vivement avec le reste du programme. Bien qu’il s’agisse d’une combinaison inusitée d’instruments, le piano et la trompette se complètent à merveille dans cette œuvre passionnante et fantasque grâce au génie du compositeur.
J’ai déjà écrit souvent que Serhiy Salov est un pianiste d’exception, et cette soirée le confirme à nouveau. Au-delà de sa virtuosité éblouissante, sa vision de l’œuvre et le raffinement de sa pensée artistique font toute la différence dans une prestation loin d’être ordinaire, qui entraîne le concert dans une autre dimension.
Le pianiste crée des couleurs et transmet une intention musicale à chaque passage, mais en gardant une vue d’ensemble et une compréhension de l’esprit de l’œuvre, tout en lui injectant ses propres idées, sa personnalité et une bonne dose de spontanéité. Équilibrer ces éléments tout en gardant son naturel est le propre des grands interprètes. Quant à la trompette, son rôle de complice sarcastique est parfaitement transmis par Karen Donnelly.
Récoltant une ovation debout, le pianiste jouera de façon magistrale, en rappel, le Nocturne de Chopin op. 48 no 1, en projetant un son extraordinaire.