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CRITIQUE & PORTRAIT | Extrêmes vocaux: une expérience renversante

Par Caroline Rodgers le 20 juin 2021

Growlers Choir
Samuel Arsenau-Roy, choriste au sein du Growlers Choir, qui était en concert avec Temps fort, le 18 juin 2021. (Photo: Elias Touil)

Des growlers metal, ça sonne comment? Le besoin de répondre à cette question est l’une des nombreuses raisons faisant que je ne pouvais pas ne pas aller au concert Extrêmes vocaux, qui avait lieu vendredi soir, 18 juin, à l’Église du Très-Saint-nom-de-Jésus, dans Hochelaga-Maisonneuve, avec le choeur Temps fort et le Growlers Choir, sous la direction de Pascal G. Berardi.

Réponse: ça sonne comme rien de ce que vous avez déjà entendu. Un son rocailleux, caverneux, venu d’une autre dimension. Lorsqu’ils ont émis leur première note, j’ai cru entendre la voix d’un monstre épique. J’ai pensé au Balrog, cette créature qui entraine Gandalf dans les abîmes de la Moria, juste avant qu’il dise « Run, you fools » dans le Seigneur des anneaux. J’imagine que si le Balrog chantait en se polissant les cornes, il sonnerait un peu comme les growlers. Aussi bien dire qu’un frisson de chair de poule est susceptible de vous parcourir le corps chaque fois qu’ils ouvrent la bouche.

Le fait qu’ils soient dans une église et chantent avec un chœur classique produit évidemment un contraste rendant cette expérience encore plus saisissante. C’est pourquoi je n’oublierai jamais ce concert, en particulier la pièce The Dayking, de Pierre-Luc Sénécal, qui m’a jetée par terre et dont je vous parlerai plus en détails dans quelques paragraphes.

 

Temps fort, Growlers Choir, Extrêmes vocaux
Le chœur de Temps fort et le Growlers Choir, à la générale du concert Extrême vocaux, juin 2021, sous la direction de Pascal G. Berardi. (Photo: Elias Touil)

Les choristes de Temps fort arrivent de l’arrière de l’église par bas-côtés et prennent place à l’avant. Distancés de plus de deux mètres, ils sont 23, selon le programme. Avant de commencer, Pascal G. Berardi explique qu’il a voulu, avec ce concert, explorer deux extrêmes de la voix humaine (NDLR: mission accomplie). ll demande à ceux qui, dans l’auditoire, n’ont jamais entendu un chœur classique professionnel, de lever la main. Environ un quart des spectateurs le fait.

Le tout commence avec Song for Athene, une pièce de John Tavener de 1993. Première impression: l’acoustique de l’église, l’écho et le fait que les choristes soient ainsi distancés donne l’impression qu’ils sont plus nombreux. Le choc viendra après, alors que le Growlers Choir, installé au jubé, chante un « Al-le-lui-a » déchiqueté et rauque qui semble tout droit sorti de l’enfer. Il s’agit d’un très court interlude musical composé par Pierre-Luc Senécal, un gars qui ne doit jamais être plate à inviter dans un party.

On entendra ensuite trois des Quatre motets pour un temps de pénitence, de Francis Poulenc, suivi de Os Justi, de Bruckner (superbe), et de  Lux Aeterna, de Pierre-Luc Senécal. Les chanteurs de Temps fort sont d’un très bon niveau et leurs voix se fondent bien. J’apprécie particulièrement les basses.

Les Growlers, qui sont une quinzaine, descendent se joindre à eux et s’installent dans le chœur de l’église, derrière Temps fort. Pascal G. Berardi nous explique qu’on va entendre « pour la première fois dans l’histoire de l’humanité », (rien de moins), un chœur de growlers et un chœur classique ensemble.

 

Pascal G. Berardi et Pierre-Luc Senécal. (Photo: Elias Touil)
Pascal G. Berardi et Pierre-Luc Senécal. (Photo: Elias Touil)

The Dayking

Ce nouveau chœur hybride chante d’abord The Dayking, une création de Pierre-Luc Senécal sur des paroles du poète Fortner Anderson, présent à titre de narrateur. Juste avant, le chef nous explique qu’il s’agit de la complainte douloureuse d’un gardien qui veille sur un village, au sommet d’une montagne, chargé d’allumer un feu si des ennemis attaquent, et subissant le doute et les intempéries.

Le choc. Je ne saurais dire combien de minutes dure la pièce, car j’ai perdu la notion du temps. Cette histoire, ce poème, et la musique que j’entend me troublent au plus haut point.

Des chanteurs des deux groupes émettent toutes sortes de sons étonnants, sifflements, soufflements, chuchotements, qui tranchent avec les voix classiques limpides en parallèle, créant des textures, des effets, des éléments narratifs, une trame sonore vocale. Par moment, les basses sonnent un peu comme des mantras de moines bouddhistes dans leur monastère. On a aussi, parfois, l’impression d’entendre le vent souffler sur de hautes herbes. On assiste au tourment, à la douleur et au déroulement d’un récit épique. Fortner Anderson livre son poème sur un ton théâtral.

Subitement, les chanteurs tapent du pied. L’effet de surprise, mêlé au reste, est saisissant. Un des growlers hurle en solo quelques phrases avec une conviction remarquable. D’ailleurs, si tous les chanteurs sont extrêmement investis dans cette prestation, on sent que pour les growlers, ce concert est l’aboutissement d’une démarche bien spéciale qui compte, pour eux, d’une autre façon.

Même si nous n’avons pas les paroles dans le programme et qu’on ne saisit pas tous les mots, on comprend ce qui se passe grâce à cette musique qui fait un peu peur, ce même genre d’appréhension apocalyptique et paralysante que l’on peut ressentir en lisant La route, de Cormack McCarthy. Ce sentiment d’avoir devant soi, sublimée à travers l’art, une expression des tréfonds sombres de l’âme humaine. J’ose employer ici un mot que je n’écris pas souvent: génial.

Le Ultimatum

Après l’entracte, on entendra la plus longue pièce au programme, Le Ultimatum, de Pascal G. Berardi, en trois mouvements, sur un texte de Sébastien Johnson. Il s’agit également d’une création.

Cette fois, nous avons affaire à une pièce plus longue, dense, ambitieuse, plus abstraite et grandiose, qui emploie les voix de façon plus lyrique, dans la superposition de multiples strates sonores finissant par donner un résultat plus homogène, en même temps qu’une accumulation de détails et d’harmonies donne l’impression qu’il faudrait l’écouter plusieurs fois pour en saisir toute la complexité. Un certain flou dû à l’écho dans l’église fait en sorte que j’aurais aimé avoir les paroles pour mieux saisir ce qui se passe, même si on nous a donné des explications avant. En résumé, le texte exprime l’antagonisme entre les forces vitales individuelles que sont l’expansion et la liberté. Vaste programme.

Si je puis me permettre un bémol, je dirais que la rareté des silences et la saturation presque constante des voix nous donne, comme auditeur, l’impression d’être complètement submergé par la musique au point de ne plus pouvoir respirer.

 

Pascal G. Berardi, chef et fondateur de Temps fort, à l'église du Très-Saint-nom-de-Jésus, juin 2021. (Photo; Elias Touil)
Pascal G. Berardi, chef et fondateur de Temps fort, à l’église du Très-Saint-nom-de-Jésus, juin 2021. (Photo; Elias Touil)

Un nom à retenir: Pascal G. Berardi

Les médias grand public parlent peu de musique classique et quand ils le font, ils parlent toujours des mêmes artistes. Il n’est donc pas facile, pour un jeune chef, de se faire connaître. On doit pourtant retenir le nom de Pascal G. Berardi, qui a fondé Temps fort, (d’abord sous le nom de Société de concerts de Montréal) et travaillé d’arrache-pied pour mettre ce projet au monde, en compagnie de Pierre-Luc Sénécal, compositeur et concepteur sonore diplômé de l’Université de Montréal en composition électroacoustique.

Il y a quelques semaines, j’ai eu une longue conversation téléphonique avec Pascal pour ce qui était destiné à devenir un autre article. Le temps a filé trop vite, mais j’ai voulu quand même transformer cet article d’aujourd’hui en hybride critique/portrait pour vous le faire découvrir.

Âgé de 35 ans, Pascal G. Berardi, qui a grandi à Ville-Eymard, vient d’un milieu modeste et pas particulièrement porté sur la musique classique. Enfant, il a fait un peu de piano, mais son premier apprentissage sérieux, il l’a fait au sein des Petits chanteurs du Mont-Royal, où il est entré à neuf ans, et au sein duquel il a complété son cheminement scolaire jusqu’à la fin du secondaire.

« J’avais de très bons résultats scolaires et les Petits Chanteurs, dont je ne connaissais même pas l’existence, faisaient du recrutement. J’ai reçu une invitation, car ils ciblent souvent des élèves qui ont un bon dossier académique. Ça me tentait et mes parents, qui m’ont toujours soutenu, m’ont encouragé à y aller. Quand j’ai terminé mon secondaire au Collège Notre-Dame, j’avais chanté avec l’OSM et l’Opéra de Montréal, et accumulé tout un bagage. Or, dans mon entourage, pas mal de gens n’avaient pas terminé leurs études secondaires. Quand j’ai gradué, j’avais beaucoup de questionnements et de constats reliés à mon statut social et à ce que j’étais devenu à travers mes études, par rapport à mon milieu d’origine.

J’ai donc fait mon cégep en sociologie et psychologie. J’étais fasciné par les questions de justice sociale et de rapports de pouvoirs. J’ai commencé un baccalauréat en psychologie et sociologie. J’ai appris à me situer un peu dans le monde par rapport à ces questions, et l’appel de la musique est revenu. J’ai eu une grosse révélation, un flash: l’envie de devenir chef d’orchestre. Avec mes années comme choriste, j’avais appris le solfège mais j’avais quand même énormément de rattrapage à faire dans l’apprentissage musical. J’ai fait des cours de rattrapage, un baccalauréat en chant, un baccalauréat en écriture musicale, une maîtrise en composition, et je termine présentement mon doctorat en direction d’orchestre avec Jean-François Rivest et Paolo Bellomia. »

Heavy metal

À travers tout cela, Pascal a eu un groupe metal, un genre musical qui s’est développé au-delà des modes, avec ses sous-catégories et son univers particulier dont la complexité m’échappe, bien que j’aie apprécié les groupes les plus connus au secondaire. On sait, d’ailleurs, que le metal a été très influencé par la musique classique.

« Nous étions plusieurs étudiants en musique à l’université, dont David Therrien Brongo qui était notre drummer. J’étais le chanteur et je composais toutes nos chansons. Le groupe s’appelait Archétype. Comme amateur de musique metal, que j’aime à cause de ses côtés virtuose, de son énergie et de sa vitesse, je trouvais que la plupart des groupes metal étaient coincés dans la structure couplet-refrain, et mon ambition était de composer des chansons sur d’autres structures. »

Temps fort

Ayant aussi des aspirations à diriger, il a fait comme bien d’autres jeunes chefs: il a fondé son propre ensemble, en 2015. Comme il était chanteur, et connaissait bien le répertoire choral, il a décidé de fonder un chœur. Au départ, l’organisme porte le nom de Société de concerts de Montréal.

« En fait, c’est un organisme avec un chœur en résidence, explique-t-il. On a organisé plusieurs concerts, dont plusieurs de création, le but étant toujours d’élargir nos horizons. Ensuite, j’ai décidé de changer de nom pour Temps fort afin d’exploiter un filon plus précis. Le but est d’organiser des concerts classiques, mais avec un cachet hors normes. L’an dernier, nous avons fait une tournée dans les maisons de la culture, Au cœur de Montréal, avec uniquement des œuvres de compositeurs montréalais. Quant au nom de Temps fort, il vient de l’idée de proposer des expériences, des moments forts en venant à nos spectacles. Le spectacle Extrêmes vocaux est une collaboration avec le Growlers Choir, quelque chose de jamais vu. »

On s’en doute, Pascal G. Berardi a bien d’autres projets en tête, dont nous aurons l’occasion de vous reparler. Après le succès d’Extrêmes vocaux, aucun doute qu’il a le talent, la détermination et le sens de l’organisation pour les mener à bien. C’est à suivre!

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