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DOSSIER | Nous n'écouterons plus de musique dans dix ans, selon un magnat de la technologie

Par Anya Wassenberg le 20 juin 2019

Vinod Khosla, fondateur de Khosla Ventures, prédit que la technologie de l’intelligence artificielle va remplacer les compositeurs humains. (Photo: JD Lasica/Flickr)

« Je crois réellement que dans dix ans, vous n’écouterez plus de musique.”

Voilà l’opinion exprimée par l’investisseur en capital-risque et magnat de la technologie Vinod Khosla, lors d’une conversation au coin du feu lors de la deuxième Super Session annuelle de Creative Destruction Lab à Toronto en juin 2019.

C’est là une affirmation choquante pour tout mélomane, mais qu’est-ce que cela signifie exactement?

Selon Khosla, la musique que nous connaissons sera remplacée par ce qu’il appelle des « équivalents de chansons sur mesure » (custom song equivalence), c’est-à-dire des paysages sonores conçus sur mesure en accord avec la structure individuelle de notre cerveau, avec nos préférences et avec nos besoins émotifs. Ces équivalents sur mesures seront générés automatiquement par des intelligences artificielles qui nous connaîtront mieux que nous ne nous connaissons nous-mêmes.

Votre musique préférée sera-t-elle générée par une suite de code informatique?

Les fondements de cette révolution musicale générée par l’IA sont déjà en train d’être posés, dit Khosla. Dans sa présentation, il souligne qu’une des tendances les plus récentes en webdiffusion de musique est d’organiser les pistes musicales non par genre ou par artiste, mais par atmosphère, ce qui est conforme à de récentes recherches se penchant sur les liens entre les préférences musicales et la structure du cerveau.

Il existe déjà un certain nombre de nouvelles compagnies avides de profiter du développement de la musique par intelligence artificielle, et prêtes à combler les trous dans une ère de medias numériques riches en vidéos, mais pauvres en liquidités. Ces medias clament qu’ils n’ont pas d’argent pour payer des compositrices et compositeurs humains, ainsi de plus en plus de publicités, de jeux vidéo et d’autres applications vont utiliser de la musique écrite par une machine. Chez les services de diffusion comme Spotify, la motivation à promouvoir des pistes générées par des machines est inhérente à la nature du service puisque les marges de profit deviennent plus grandes sans restrictions de permis et de frais à payer aux artistes.

Aujourd’hui, le marketing de la musique classique se fait souvent en faisant la promotion de ses vertus calmantes, ce qui risque de la rendre particulièrement vulnérable à être remplacée par des alternatives générées par des IA, surtout si l’on ajoute la musique de film à l’équation.

Khosla entrevoit la création de listes de lecture spécifiques à l’individu, remplaçant le modèle actuel de l’industrie musicale, axé sur les artistes. La Super Session du Creative Destruction Lab représente le point culminant d’un programme conçu pour les nouvelles compagnies technologiques. Leur deuxième showcase annuel s’est tenu à la Rotman School of Management de l’Université de Toronto en juin 2019. En plus de Khosla, la rencontre présentait d’autres conférenciers, dont l’astronaute et premier commandant canadien de la Station spatiale internationale Chris Hadfield.

Que dit la science?

Khosla est un investisseur en capital-risque milliardaire, un ingénieur de formation. Co-fondateur de Sun Microsystems, il a fondé sa compagnie Khosla Ventures, basée à Silicon Valley, et a été nommé parmi les 400 personnes les plus riches par le magazine Forbes en 2014.

Mais, saisit-il réellement la nature de la musique ? La science elle-même semble indiquer que non, du moins pas entièrement.

Il est vrai qu’il y a des situations où la musique sert d’échappatoire au monde qui nous entoure, ce dont peuvent témoigner une grande partie des usagers du transport en commun. Mais même si la majorité des gens écoutent maintenant leur musique à travers des écouteurs, il est important de souligner que l’expérience musicale peut être véhiculée par différents moyens, comportant des implications variées.

Exemple d’une trame sonore de film générée par une intelligence artificielle de la compagnie Aiva Technologies

Une étude menée par des chercheurs de l’Université Paul Valéry de Montpellier, en France, s’est penchée sur l’expérience des auditeurs en concert, un sujet que la science n’a abordé que relativement récemment. La valeur sociale de l’expérience commune du concert en direct a été documentée par plus d’une telle étude, et les bénéfices sont perceptibles que vous alliez au concert fréquemment ou pas. Des communautés à court et à long terme se forment autour de l’expérience partagée du concert, et l’interaction sociale est tout aussi importante que les préférences esthétiques.

Une étude élargie sur les impacts interculturels de la musique au cours de l’histoire de l’humanité a été publiée par des chercheurs des départements de psychologie de la University of Toronto Mississauga, entre autres, en 2015. Cette étude soulevait le manque de perspectives culturelles sur la musique dans la communauté de recherche, l’emphase ayant été mis sur l’expérience d’auditeurs solitaires et sur les effets au niveau nerveux. La signification de la musique s’étend bien au-delà de ces domaines.

La publication souligne que la musique est une expérience universelle, mais que ce ne sont pas toutes les cultures qui la séparent de la danse ou d’autres activités. La musique est liée aux rituels, religieux ou autres, et rattachée à la vie quotidienne. La recherche démontre que les bébés réagissent mieux à la voix chantée de leur mère qu’à sa voix parlée.

Même quand on l’écoute seul, la musique comporte un facteur social. Des études sur des étudiants en musique démontrent que même quand ils jouent de leur instrument seuls, les instrumentistes ont tendance à imaginer un auditoire. Quand elle est écoutée individuellement, expérience fréquente dans notre monde occidental moderne de lecteurs numériques et d’écouteurs, la musique évoque des souvenirs pour l’auditeur et reste tissée dans un contexte social. La musique contribue à la cohésion sociale et aux valeurs communautaires.

La musique développe l’empathie

Simplement en l’écoutant, la musique rehausse notre capacité à communier avec les autres. Dans un article publié en 2013, un psychologue de la musique de la Freie Universität de Berlin décrit les différentes façons par lesquelles la musique améliore notre capacité à connecter les uns avec les autres ainsi que celles par lesquelles elle améliore les contacts sociaux et la coopération. Au niveau nerveux, écouter de la musique active des sections de notre cerveau lieés à l’empathie. Et que la nature du compositeur – humain ou machine – fait une différence.

Une étude a comparé les réactions de participants tandis qu’ils écoutaient une pièce de musique. Les auditeurs d’un premier groupe ont été avisés que la musique avait été composée par une personne humaine et ceux de l’autre groupe qu’elle avait été générée par un ordinateur, bien qu’il se soit agi en fait de la même pièce de musique. Chez les participants croyant que la musique avait été composée par une personne humaine, le cortex cérébral associé avec l’empathie et d’autres qualités s’allumait. Chez ceux croyant que la musique avait été générée par une machine, ce même cortex restait inactif. L’auditeur prend en considération non seulement le son, mais aussi son sens, ainsi que l’intention du compositeur.

Une étude a démontré que l’écoute de la musique pour accompagner le jeu des enfants améliore leur capacité d’empathie.

Une autre étude semble appuyer ces résultats. Faite auprès d’enfants à l’école primaire, cette étude séparait ceux-ci en trois groupes. Pour une heure par semaine pendant toute l’année scolaire, un premier groupe a été exposé à des jeux musicaux avec d’autres enfants, un deuxième a participé à des jeux, mais sans musique, et les enfants du troisième groupe sont restés libres de faire ce qu’ils voulaient. À la fin de l’année, la mesure d’empathie des enfants du premier groupe s’était améliorée de façon significative.

L’implication de ces résultats pour notre sujet est que la musique générée par une intelligence artificielle répondrait aux besoins et aux préférences d’un individu, mais n’apporterait pas les bénéfices sociaux associés à la musique composée par des humains, isolant encore plus l’auditeur.

Quand les premiers Homo sapiens ont migré vers le nord au-delà de la Méditerranée jusqu’en Europe il y a quelque 40 000 ans, ces chasseurs-cueilleurs ont amené des flûtes et des tambours avec eux. Sûrement que, compte tenu des difficultés quotidiennes de leur vie, ils auraient pu utiliser leur temps à des tâches plus vitales que de sculpter des flûtes à partir d’os de cygnes. Pourtant, ils ont choisi de créer de la musique, qu’ils ont sans doute partager avec leur communauté.

Il y a des choses qu’un équivalent de chanson, même sur mesure, ne remplacera jamais.

Cet article a d’abord été publié en anglais sur Ludwig van Toronto. Traduction de Béatrice Cadrin.

 

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