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CRITIQUE | Motets allemands par Rudolf Lutz et la Fondation Bach de Saint-Gall : divergences d'approche et d'attentes

Par Béatrice Cadrin le 9 décembre 2025

Le Chœur de la Fondation Bach de Saint-Gall en Festival international Bach Montréal. (Photo : Antoine Saito)
Le Chœur de la Fondation Bach de Saint-Gall en Festival international Bach Montréal. (Photo : Antoine Saito)

Pour clôre son édition de cette année, le Festival international Bach de Montréal recevait en fin de semaine le Chœur de la Fondation Bach de Saint-Gall (Suisse), qui faisait ainsi ses débuts en Amérique du Nord. Samedi soir, c’est sous l’impressionnante voûte en bois de l’église anglicane Saint-George que s’est produit le chœur de chambre, accompagné par un continuo formé de son chef Rudolf Lütz au positif et de Maya Amrein au violoncelle.

Le programme de motets allemands rappelait celui présenté par l’ensemble anglais Solomon’s Knot au même endroit l’an dernier. Les deux groupes sont pratiquement l’opposé l’un de l’autre. Les solides effectifs vocaux de Solomon’s Knot issus de la tradition vocale anglaise privilégient un fondu lisse et des voix agiles sans lourdeur, mais leur sonorité inlassablement désincarnée crée un degré de distance entre les exécutant·e·s et la musique qu’ils interprètent. Il est indiscutable que les voix du Chœur de la Fondation Bach de Saint-Gall n’atteignent pas le même degré de finition et de confort technique. Leur esthétique sonore plus ancrée et plus « terrestre », cependant, nonobstant le degré de réussite de son exécution, convient mieux à ce répertoire. La majorité des chanteurs·euses ont de plus l’avantage non négligeable de chanter dans leur langue maternelle, menant sans surprise à une exécution naturelle du texte, des appuis et du phrasé.

La différence entre les deux esthétiques sonores était perceptible dès la toute première note ouvrant la première œuvre au programme, le motet Komm, Jesu, komm BWV 229, également interprété par Solomon’s Knot à son passage. Chez l’ensemble suisse, la voyelle est portée jusqu’au conclusif par un son gardant du corps et de la substance, tandis que les chanteurs anglais attaquent le k et s’éloignent ensuite du son, contredisant l’élan de l’appel du texte (« Viens! »). L’homogénéité excessive (un reproche plutôt inhabituel!) de la sonorité anglaise gomme par ailleurs les effets de spatialisation des doubles chœurs, mieux perceptibles samedi soir.

La comparaison n’a pas pour but d’élever la prestation du Chœur de Saint-Gall à un niveau qu’elle n’a pas atteint, mais de mettre en lumière l’importance de l’esthétique sonore en tant que paramètre d’exécution, en conjonction avec le phrasé, les nuances, les articulations, la diction, etc. Inversement, la deuxième pièce au programme en a immédiatement démontré les limites lorsqu’elle n’est pas combinée adéquatement avec ces autres paramètres : l’exécution du motet Lehre uns bedenken de Johann Hermann Schein (1585-1630) sonnait étrangement désorganisée, les différentes parties semblant clopiner à travers la partition chacune de son côté. Était-ce une question d’appuis déphasés, de manque de plasticité dans l’équilibre des parties, d’un autre aspect auquel je ne pense pas? Je ne saurais dire. Le motet de Heinrich Schütz (1585-1672) Tröstet, tröstet mein Volk, la seconde des deux œuvres les plus anciennes au programme, n’a pas souffert de la même faiblesse.

Le répertoire comptait également des pièces de compositeurs plus tardifs, Homilius, Mendelssohn et Brahms, tous trois connaisseurs et admirateurs de J. S. Bach. Les lignes mélodiques soutenues du motet Sehet, welch eine Liebe de Gottfried Augustus Homilius (1714-1785), un compositeur de la fin de l’époque baroque qui m’était inconnu, s’approchent étonnamment du langage romantique d’un Mendelssohn ou d’un Rheinberger. Mendelssohn, justement, a reçu le traitement le plus expansif de la soirée, un chœur de 16 voix se réunissant pour chanter « Frohlocket ihr Völker auf Erden » extrait des Sechs motetten, op. 79, no 6 : la force du nombre créait une zone de confort pour les chanteurs·euses et un impact sonore bienvenu.

Entre les pièces, Rudolf Lutz, qui a enseigné l’improvisation au clavier à la Schola cantorum Basiliensis, prenait le micro le temps d’une courte présentation bon enfant pour ensuite se rasseoir à l’orgue et improviser une introduction à l’œuvre suivante, y intégrant souvent des thèmes d’autres œuvres connues du même compositeur. Le but semblait plus être de faire réagir le public que de préparer l’atmosphère de la prochaine pièce. Au début de la deuxième partie, il s’est lancé dans une activité interactive en faisant chantant le public et le chœur sur la progression harmonique des Variations Goldberg.

J’ai l’impression que des divergences entre la perception européenne et la perception québécoise entrent en compte : Rudolf Lutz se comporte en Kapellmeister, c’est-à-dire en maître de musique autour de qui gravite toute la vie musicale d’une communauté. La fonction de maître de musique apporte un statut et une supériorité hiérarchique automatique inconnus dans les milieux francophones d’ici (certains cercles anglophones s’en approchent plus), auxquels s’ajoute un rapport encore étroit entre la religion et le concert. Dans ce contexte, il est inévitable que la notion de médiation musicale prenne également une tout autre couleur.

En regardant la description du déroulement des concerts de la Fondation Bach de Saint-Gall, je suis frappée par l’accent mis sur le texte et la communication orale : à 16 h, les visiteurs·euses ont l’occasion d’admirer un facsimile de la Bible ayant appartenu à J. S. Bach, après quoi le mécène de la Fondation, l’homme d’affaires Konrad Hummler, fait la lecture du texte liturgique du jour. À 17 h 30, Rudolf Lutz et le théologien Niklaus Peter (jusqu’en 2018, le deuxième présentateur était un prêtre) offrent une introduction de 45 minutes « autant sur les aspects musicaux que de contenu » de la cantate du moment (l’admission exige un billet séparé de celui donnant accès au concert). Pendant le concert, un·e invité·e présente une réflexion personnelle sur le texte de la cantate – autrement dit, l’équivalent d’un sermon laïc sur « l’Évangile » de J. S. Bach. Et le lendemain du concert, pour le coût de 20 Francs suisses, une nouvelle rencontre est proposée autour de café et pâtisserie où les interprètes de la veille répondent aux questions de Rudolf Lutz qui, selon le texte du site web de la Fondation, « se glisse avec habileté dans le rôle de l’entertainer et de l’intervieweur pour soutirer à ses invité·e·s des révélations captivantes, inconnues et parfois inattendues ». Le souhait de la Fondation est d’éveiller chez son public une compréhension des œuvres de J. S. Bach qui « rende tangible la profondeur émotionnelle, théologique et musicale [dans cet ordre-là] de son œuvre ». Ce n’est pas pour rien que les plus grands adeptes de ces concerts parlent de pélerinage : c’est évident que c’est ce que la Fondation, Rudolf Lutz et Konrad Hummler en tête, a volontairement cherché à créer.

L’exécution en concert, divorcée du contexte si particulier que la Fondation s’est bâti dans son « habitat naturel », présente des exigences différentes qui vont en quelque sorte à l’encontre de ses forces. Les efforts de Rudolf Lutz d’établir un courant de communication semblable à celui qu’il s’est forgé avec son public à domicile ne suffisent pas à faire oublier les critères d’exécution musicale d’une interprétation du plus haut niveau – niveau auquel les mélomanes montréalais ont régulièrement accès à travers les concerts des ensembles spécialisés établis dans leur ville.

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Béatrice Cadrin
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