
Trente ans de musique baroque et de créations contemporaines, de collaborations, de tournées et de séries d’abonnement : voilà ce que célèbrent Les Boréades et leur fondateur Francis Colpron au cours de cette saison-ci – et même de la suivante, puisqu’un projet d’envergure impliquant plusieurs partenaires et chevauchant plusieurs époques verra le jour en 2027.
Les festivités commencent ce jeudi 25 septembre avec le concert Le tisseur de vent, un retour en musique sur le parcours de Francis Colpron. Je me suis entretenue avec lui de ce jalon important, du parcours accompli et de celui à venir.
LVM : Dans quelles circonstances avez-vous fondé Les Boréades?
FC : En 1991, quand je suis rentré d’Utrecht, aux Pays-Bas, où j’étais allé faire des études en flûte baroque, le milieu de la musique ancienne à Montréal était vraiment florissant. Il y avait beaucoup de choses qui se passaient. À l’époque, les Pays-Bas, c’était La Mecque de la musique ancienne. Au Conservatoire d’Utrecht, il y avait 60 flûtistes – et ça, ce n’est qu’un seul conservatoire, et il y en a 13! C’était évident qu’il fallait que je revienne ici, parce qu’ici j’avais la possibilité de tout faire : de fonder mon ensemble, d’avoir des élèves, d’enseigner à l’université.
Ici, il y avait le SMAM, qui à l’époque avait choeur et orchestre, Arion marchait très bien, Les Idées heureuses avaient commencé quelques années avant mon retour, La Nef marchait très bien. L’avenir était à nous, tout allait encore vers quelque chose (alors que maintenant, c’est un peu peau de chagrin, tout le monde a de la difficulté à gagner son ciel). Dans les universités aussi, il y avait beaucoup d’élèves en musique ancienne. Je suis arrivé au bon moment, à un moment où c’était effervescent.
À mon retour, donc, j’ai fondé mon ensemble et on a donné des petits concerts autour de Montréal, à Terrebonne, à Longueuil. Éventuellement, on a fait l’audition pour la tournée Révélation des Jeunesses musicales et on a été sélectionnés, ce qui nous a amenés à faire 40 concerts dans le réseau des Jeunesses musicales, incluant en Europe. On a fait des tournées au Nouveau Brunswick, en hiver, dans des chemins presque pas déneigés, à transporter un clavecin. Je me souviens aussi d’un concert en Abitibi-Témiscamingue, où la viole de gambe de Susie Napper a malencontreusement été endommagée. On a dû laisser l’instrument une semaine de temps entre les mains d’un luthier de guitares surpris de se retrouver à réparer une viole de gambe de Barak Norman (luthier anglais du XVIIe siècle). Il a très bien fait ça au final!
C’est aussi à cette époque-là que j’ai fait mon premier disque avec l’étiquette ATMA, ce qui a lancé une autre tournée de concerts.
La série de concerts est née à partir de tout ça. J’ai voulu instauré quelque chose de plus solide, où le même public pourrait revenir nous entendre régulièrement. J’étais aussi intéressé par l’amalgame des arts, par la collaboration avec d’autres formes d’art, comme la danse et le théâtre. En 2010, on a fait Les tabarinades (du nom de l’auteur de théâtre Tabarin, contemporain de Molière et associé au théâtre de foire), ce qui m’a donné la piqûre de faire des grandes productions. Mais pour faire de grandes productions, il faut rester sur place et investir la scène locale, pour pouvoir développer le projet sur deux ou trois ans. Donc j’ai commencé à faire des productions jeune public, quelques prestations d’opéra. En 2016, j’ai aussi fondé l’Académie de musique ancienne à Saint-Camille.
LVM : Quelle forme prendront les célébrations au cours de la saison?
FC : Pour débuter les célébrations du 30e anniversaire, au concert de jeudi soir, j’ai pensé faire un retour sur le parcours des Boréades. Ce sera « Les confidences du directeur artistique ». Je ne vais pas m’arrêter à la musique des XVIe et XVIIe siècles, il y aura aussi de la musique contemporaine et un peu de jazz, dont une pièce de mon fils Mathis Colpron, et même du Frank Zappa. Ça va être un peu éclaté et assez rigolo! J’ai travaillé avec la metteure en scène Valérie Lemaire pour ça coule bien et pour consolider la présentation dans le style de la fable philosophique.
En novembre, on aura notre première association avec le Festival Bach autour d’Acis et Galatée de Haendel dans un concept de concert famille et en février, on fait une tournée au Saguenay avec Transtaïga, un « concert documentaire » qu’on a produit il y a deux ans racontant le voyage de Samuel Lalande-Markon qui a voyagé de Montréal à Kuujjuaq en vélo.
Au printemps, on poursuit notre série de concert avec Meslanges harmoniques, un programme de musique française du XVIe- début XVIIe siècles, dans lequel on se concentre sur la musique que les Valois aimaient : c’est de la musique en ensemble, qui met de l’avant le consort, c’est-à-dire un groupe d’instruments de la même famille.
Notre troisième concert de saison sera un Hommage à Telemann, un compositeur que j’aime beaucoup revisité. Notre premier prix Opus nous a été attribué pour un album de musique de Telemann.
Le point culminant des célébrations aura lieu plus tard, en avril 2027, avec la création de La tragédie d’Atys, un opéra basé sur Atys de Jean-Baptiste Lully. Le compositeur Jonathan Dawe va ré-écrire l’opéra. De Lully, on ne va garder que « Le Sommeil », qui est une page iconique des tragédies lyriques françaises. C’est en fait un projet qui avait été prévu pour notre 25e anniversaire, mais qu’on a dû reporter à cause de la pandémie. BOP en seront les producteurs délégués, les chanteurs·euses proviendront majoritairement de l’Atelier lyrique de l’Opéra de Montréal, la mise en scène sera conçue par Stéphanie Jasmin et Denis Morleau de la compagnie de création UBU et on s’associe également à l’équipe technique de l’École nationale de théâtre, grâce à qui les premières représentations auront lieu au Monument national. Moi, je travaille beaucoup avec le compositeur sur la partition et le choix des instruments.
LVM : Et au-delà du trentième anniversaire, de quoi sera fait l’avenir des Boréades?
FC : J’ai beaucoup de projets, dont quelque chose qui se prépare avec Joël Da Sylva. On a aussi la chance d’avoir un contact avec le Parc d’orgues en Hollande, alors j’envisage une création où l’orgue sera mis à contribution.
Par ailleurs, dans l’état du monde présentement, je trouve que c’est important d’avoir des valeurs communautaires et de prendre soin de nos voisins. À Lachine où j’habite, il y un quartier vraiment difficile, qui est un désert alimentaire. On va faire un programme Du Baroque à la bouche où je vais cuisiner pour eux et on va discuter de musique.
La 30e saison des Boréades débute ce soir, le 25 septembre, avec Le tisseur de vent présenté à 19 h 30 à l’Auditorium des Archives nationales.
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