
Le samedi 26 juillet, le Festival de Lanaudière accueillera pour la première fois le réputé contreténor argentin Franco Fagioli. Il sera accompagné par l’Orchestre de l’Opéra Royal de Versailles, sous la direction de Stefan Plewniak, dont ce sera également la première présence au Festival.
Le programme, conçu autour de l’art des castrats, met particulièrement en valeur le répertoire dédié au dernier castrat lyrique de renom Giovanni Battista Velluti par des compositeurs tels que Rossini, Nicolini, Bonfichi, Rode, Zingarelli et Mercadante. Spécialisé dans le répertoire baroque et l’opéra bel canto du début du XIXe siècle, Fagioli met régulièrement en valeur l’héritage musical des castrats italiens, plus récemment sur son album The Last Castrato : Arias for Velluti sorti en février dernier.
Né en Argentine, Franco Fagioli a étudié à l’Institut supérieur d’art du Teatro Colón à Buenos Aires. Doté d’une tessiture de trois octaves et d’une maîtrise technique remarquable, il a remporté en 2003 le concours de chant Neue Stimmen de la Fondation Bertelsmann à Gütersloh, en Allemagne, ce qui a lancé sa carrière professionnelle. En 2015, il est devenu le premier contreténor à signer un contrat d’exclusivité avec le prestigieux label Deutsche Grammophon.
Ma collègue de Ludwig van Toronto Anya Wassenberg a rejoint le contreténor, aujourd’hui installé en Espagne et actuellement en tournée en Amérique du Nord, pour parler de son répertoire de prédilection et des traditions qui l’entourent.
Franco Fagioli : l’entrevue
LVT : Le rôle de contreténor dans la musique classique reste moins connu que la nomenclature chorale SATB. Comment avez-vous choisi cette voie?
FF : « Enfant, j’ai vécu une expérience marquante alors que j’ai été sélectionné pour chanter dans La Flûte enchantée de Mozart », se souvient Fagioli. Il avait alors 11 ans. « Je me souviens encore aujourd’hui du son de l’orchestre qui s’accorde. » Il écoutait les solistes chanter leurs parties. « Je pense que tout est parti de là », dit-il de cette expérience.
Il avait commencé à chanter dans la chorale de l’école à l’âge de neuf ans. Rapidement, le chef de chœur a découvert l’étendue aiguë de sa voix.
Il s’est ensuite tourné vers le piano. « J’ai commencé à étudier le piano et je m’y suis consacré pleinement », explique-t-il.
Cependant, malgré cette nouvelle orientation vers la musique instrumentale, l’expérience de La Flûte enchantée ne l’a jamais quitté. En Argentine, il ne trouvait pas de contexte pour exploiter sa voix.
« Là-bas, personne ne m’a dit : “Ce que tu fais, c’est une voix qui peut être utilisée pour l’opéra.” Pour moi, c’était comme une blague. »
Pendant ses études de piano à San Miguel de Tucumán, il a voulu apprendre le Stabat Mater, un hymne chrétien du XIIIe siècle dédié à la Vierge Marie. Il est allé chercher un album de référence dans un magasin de musique — rare à l’époque dans cette petite ville. En écoutant les voix de soprano et d’alto, il a eu une révélation.
« Ça sonne comme ce que je fais quand je fais juste m’amuser, » se souvient-il. « Je me suis dit : “Oh mon dieu, je veux faire ça. Je veux être un contreténor.” »
Cela l’a mené à la carrière qu’il connaît aujourd’hui. « J’ai découvert que j’avais une tessiture de mezzo-soprano. J’aurais pu me présenter comme un mezzo-soprano masculin », dit-il en riant. « C’est comme ça que j’ai trouvé cette voie. »
Il attribue encore aujourd’hui ce choix à son premier contact avec La Flûte enchantée. « Je pense que Mozart y est pour beaucoup », affirme-t-il. L’un de ses premiers enregistrements était d’ailleurs consacré à l’œuvre de Mozart.
Une fois qu’il a choisi de se consacrer au chant et qu’il a déménagé à Buenos Aires, ses professeurs l’ont formé directement à la technique du bel canto. « Je n’ai eu aucun lien avec la tradition britannique des contreténors », précise-t-il. Au lieu de cela, il s’est plongé dans le répertoire opératique — suivant ainsi le modèle des castrats d’autrefois.
The Last Castrato
Concernant le répertoire qu’il affectionne et interprète, il aime approfondir la recherche historique.
« J’adore ça, dit-il. J’aime aller en profondeur — savoir d’où je viens. »
Le concert au Festival de Lanaudière et son dernier album (sorti plus tôt en 2025) mettent en lumière l’héritage de Giovanni Battista Velluti. Né le 28 janvier 1780, Vellutti a été castré à l’âge de huit ans, prétendument pour soigner une forte fièvre et une toux persistante, opération qui a fait bifurqué son destin initialiement voué à une carrière militaire vers la musique. Ami de celui qui deviendra le pape Pie VII, il fait ses débuts sur scène à 20 ans.
Son talent est rapidement reconnu, et de nombreux compositeurs écrivent des rôles spécialement pour lui, dont Rossini (Arsace dans Aureliano in Palmira en 1813) et Meyerbeer (Armando dans Il crociato in Egitto en 1824).
« Giovanni Battista Velluti a été le dernier castrat à se produire sur scène au XIXe siècle », explique Franco. En Italie, les castrats ont existé sommairement du milieu du XVIe siècle jusqu’au XVIIIe. Velluti faisait déjà figure à part en son temps, en interprétant le dernier rôle écrit pour un castrat, celui d’Armando dans l’œuvre de Meyerbeer, à Venise en 1824.
Comme le souligne Fagioli, alors que l’art évoluait et que le ténor héroïque remplaçait progressivement le castrat, les compositeurs continuaient d’écrire dans un style similaire. Il cite Rossini et Bellini, qui ont puisé dans les structures et l’esthétique de l’opéra baroque pour les faire entrer dans le nouveau siècle.
« On peut dire que l’opéra italien n’a pas connu d’interruption », affirme-t-il, traçant une continuité de l’âge d’or de l’opéra du XVIIIe siècle à la tradition du bel canto. « C’est pourquoi vous trouverez dans cet album Velluti certaines arias dans le style bel canto, dit-il. Il existait cette tradition immense, encore bien vivante au XIXe siècle. »
Le style
« J’ai un attachement très fort pour la musique du XIXe siècle », confie Fagioli.
Il a publié plus de 20 albums, mais dès ses débuts, il savait qu’un hommage à Velluti verrait le jour tôt ou tard.
« Velluti représente la fin d’une forme très spécifique du chant bel canto, fondée sur l’improvisation et sur l’enrichissement de la musique par l’inspiration du chanteur. »
Les partitions écrites pour Velluti par divers compositeurs semblent trompeusement simples. Sur ces bases, le castrat improvisait ses propres ornements.
Fagioli note qu’en étudiant les partitions écrites pour Girolamo Crescentini, un autre castrat ayant vécu entre 1762 et 1846, on découvre des éléments fascinants. « C’était très intéressant de voir dans la partition, dit Franco, […] toutes les parties sont écrites et achevées. Puis on voit la partie du castrat : elle paraît très simple. Les compositeurs savaient que le castrat compléterait la composition. »
Cette pratique disparaît presque totalement avec Velluti. Rossini est l’un des premiers à y mettre fin dans ses propres œuvres. « Toutes les cadences sur les points d’orgue sont écrites par Rossini, toutes les variations », précise-t-il.
Cela confère à cette musique une couleur particulière, « une sorte de mélancolie d’une époque en transition. »
Il voit néanmoins un fil historique qui relie les siècles. « Pour moi, Monteverdi et Puccini sont profondément liés. »
Pour l’artiste, la démarche artistique pour cet album a été enrichissante. « C’était un défi. J’adore rencontrer les partitions », dit Fagioli. « Aujourd’hui, nous ne sommes plus habitués à cela. Rossini, Bellini, Donizetti — eux ont structuré les œuvres. »
« Pour moi, le défi de l’interprète est de trouver ma propre voie, tout en rendant hommage à cette pratique. »
Il s’agit de relier la virtuosité de la technique de Velluti à une expressivité attendue par le public d’aujourd’hui.
« Il utilisait beaucoup de notes pour dire un seul mot », plaisante Fagioli. « Aujourd’hui, il faut trouver une façon de transmettre cela — en allant plus vers l’émotion. »
Cette entrevue menée par Anya Wassenberg a d’abord été publiée en anglais sur Ludwig van Toronto et traduite et adaptée par Béatrice Cadrin pour Ludwig van Montréal. L’original peut être consulté ici.
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