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ENTREVUE | Measures for a Funeral, avec l'OM et Yannick Nézet-Séguin, en première au TIFF

Par Anya Wassenberg le 16 septembre 2024

Deragh Campbell en tant qu'Audrey Benac dans le film Measure for a Funeral de la réalisatrice torontoise Sofia Bohdanowicz. (Photo : courtoisie du Festival international du film de Toronto)
Deragh Campbell en tant qu’Audrey Benac dans le film Measure for a Funeral de la réalisatrice torontoise Sofia Bohdanowicz. (Photo : courtoisie du Festival international du film de Toronto)

Dans son dernier film, la cinéaste torontoise Sofia Bohdanowicz dévoile l’histoire réelle d’une virtuose canadienne du violon du début du XXe siècle, qu’elle entremêle avec le récit fictif d’une chercheuse universitaire en quête de sens.

Le film Measures for a Funeral, dont les scènes musicales ont été tournées lors d’un concert de l’Orchestre Métropolitain à la Maison symphonique, a été présenté en première mondiale au Festival international du film de Toronto le 7 septembre dernier. Notre collègue de Toronto Anya Wassenberg s’est entretenue avec Sofia Bohdanowicz.

Le film

La protagoniste Audrey Benac, interprétée avec intensité par l’actrice Deragh Campbell, se trouve à un carrefour dans sa vie alors que sa mère est mourante. Audrey estime ne pas avoir réussi en tant qu’interprète, alors elle s’est tournée vers la recherche universitaire, choisissant de se concentrer sur la vie de Kathleen Parlow, une virtuose du violon ayant vécu au début du XXe siècle. Mais, comme le lui rappelle son directeur de thèse, elle s’éparpille et manque de direction, alors que son financement est sur le point d’expirer.

La recherche d’Audrey l’emmène de Toronto à Londres, puis à Oslo, dans une quête qui devient obsessionnelle. Il se trouve que l’histoire de Parlow est entremêlée avec la sienne, puisque le grand-père d’Audrey a suivi des cours de violon auprès de la grande violoniste.

Sa mère, quant à elle, conserve de l’amertume de ne pas avoir pu poursuivre une carrière musicale en raison des mœurs de l’époque, alors que son mari est devenu un violoniste accompli. Les voyages d’Audrey à l’étranger constituent un effort pour mettre une distance physique et émotionnelle entre elles.

Deragh Campbell est une collaboratrice fréquente de Bohdanowicz, et le personnage d’Audrey est récurrent à travers quatre films : Never Eat Alone (2016), MS Slavic 7 (2019), Point and Line to Plane (2020) et A Woman Escapes (2022). Cependant, il n’est pas nécessaire de connaître ces films pour apprécier Measures for a Funeral.

 

Kathleen Parlow

Le surnom de Kathleen Parlow, « la dame au violon d’or », venait de sa grande maîtrise technique. Née à Calgary, Alberta en 1890, elle part à l’âge de quatre ans s’établir à San Francisco avec sa mère, mais le surnom de « violoniste canadienne » lui a été accolé tout au long de sa carrière. Elle commence à jouer du violon peu après son arrivée en Californie, et se rend à Londres en 1905 pour poursuivre ses études.

Impressionnée par un concert du musicien Mischa Elman, Kathleen et sa mère se mettent à la recherche du professeur de celui-ci, Leopold Auer, et le suivent en Russie, faisant de Kathleen la première étrangère à étudier au Conservatoire de Saint-Pétersbourg. Elle était aussi la seule femme dans la classe de 45 élèves.

Kathleen commence sa carrière d’interprète à l’âge de 17 ans, après seulement un an au Conservatoire, et donne des concerts en solo en Russie, en Finlande, puis part en tournée en Allemagne, aux Pays-Bas et en Norvège. En Norvège, elle s’attire les faveurs du roi Haakon et de la reine Maud par son jeu, et rencontre Einar Bjørnson, un Norvégien fortuné (fils du lauréat du Prix Nobel Bjørnstjerne Bjørnson), qui lui achètera un violon historique Guarnerius del Gesù, fabriqué en 1735.

Une brillante carrière de soliste la conduit à travers l’Europe jusqu’à l’éclatement de la Première Guerre mondiale. Elle fait des tournées dans des pays neutres comme la Suède et la Norvège, puis remet les pieds en Amérique du Nord pour une tournée en 1916, avant de retourner en Angleterre.

Elle y restera jusqu’en 1919 avec sa mère. Bien qu’elle reprenne les concerts et les tournées en 1920, sa carrière ne retrouve jamais l’élan de ses années de jeunesse, et elle lutte constamment contre des problèmes financiers.

Elle enseigne à Juilliard et en 1940, elle retourne au Canada pour enseigner au Conservatoire royal de Toronto, obtenant un poste permanent en 1941. Kathleen devient une interprète régulière avec le Toronto Symphony Orchestra, ainsi qu’avec le Canadian Trio.

Bien que sa situation financière se soit améliorée un temps, sa carrière d’interprète continue de décliner pendant les années de la Seconde Guerre mondiale. Plus tard, elle devient directrice du College of Music de l’Université de Western Ontario en 1959.

Kathleen meurt le 19 août 1963, et son testament établit la bourse Kathleen Parlow pour les instrumentistes à cordes à l’Université de Toronto. Malgré ses nombreux contacts dans le monde de la musique classique, son nom a largement été oublié.

Comme le souligne le film, elle avait un talent du même calibre que celui de Glenn Gould. Ce qui lui manquait, ce sont des mécènes et des appuis qui auraient facilité une carrière plus lucrative et plus en vue.

 

La réalisatrice torontoise Sofia Bohdanowicz. (Photo : courtoisie de l'artiste)
La réalisatrice torontoise Sofia Bohdanowicz. (Photo : courtoisie de l’artiste)

Sofia Bohdanowicz

Il existe une connexion directe entre la réalisatrice Sofia Bohdanowicz et son sujet, puisque Kathleen Parlow a été la professeure de violon et mentor du grand-père de Bohdanowicz. La réalisatrice caressait depuis longtemps l’idée de réaliser un film autour des expériences de son grand-père et de cette connexion.

Dans le court-métrage de Sofia Veslemøy’s Song (2018), Audrey se rend à New York pour écouter un enregistrement rare de Kathleen Parlow en concert. Measures for a Funeral est une extension de cette histoire et suit Audrey jusqu’à l’aboutissement de cette quête.

Le catalyseur de l’histoire est venu avec la découverte en 2015, par un archiviste de l’Université de Toronto, d’une copie de l’opus 28 du compositeur norvégien Johan Halvorsen, un concerto pour violon composé pour Parlow.

« L’idée de faire le film est définitivement venue de la découverte du manuscrit », explique Sofia Bohdanowicz.

Son grand-père, comme elle le note, n’était pas un virtuose. « Ce n’était pas un violoniste vedette. » Cependant, comme elle le souligne, il jouait dans la section des seconds violons de l’Orchestre symphonique de Toronto avec un salaire lui permettant de soutenir une femme et quatre enfants.

« J’ai toujours eu l’impression de vivre dans son ombre, » dit-elle. « Je me sentais très coupable quand j’étais jeune. » Son grand-père lui avait offert son violon, mais sous pression, elle sentait qu’elle ne pouvait pas le maîtriser. « J’étais tellement abattue que je ne pouvais pas jouer du violon. »

Sofia est passée au piano, mais a continué à porter la culpabilité avec elle. Dans le film, Audrey porte le violon de son père, qu’il a hérité de son grand-père, sur son dos où qu’elle aille, reflétant cette émotion. La boîte de violon abîmée utilisée dans le film appartient au cousin de Sofia.

« J’essaie de l’entrelacer dans ma réalisation, » dit-elle. « Tout le monde dans ma famille est musicien. Je suppose que c’est un sujet naturel. »

C’est un oncle qui lui a signalé la découverte de la partition du concerto, annoncée dans un article de presse. « Je pense que je suis allée directement aux archives, » se souvient Bohdanowicz. « Le document est stupéfiant. » L’enregistrement était encore plus impressionnant. « C’était absolument exquis. » Elle se demande pourquoi il est également tombé dans l’oubli.

« Tout comme Audrey, j’ai pris le film et la mission de faire jouer ce concerto. »

Comme Audrey, Sofia s’est donnée pour mission de trouver un orchestre qui interpréterait l’œuvre — et elle a beaucoup appris sur le monde de la musique classique. La plupart des orchestres qu’elle a sollicités n’ont pas trouvé suffisamment d’intérêt dans l’œuvre pour justifier le risque de jouer une pièce inconnue.

« J’ai eu beaucoup, beaucoup de chance », admet-elle.

La musique a été enregistrée en concert par Yannick Nézet-Séguin et l’Orchestre Métropolitain avec la violoniste Maria Dueñas en novembre 2023. Selon les notes du film, l’orchestre et le soliste ont dû jouer le concerto exigeant deux fois pour capturer différents angles pour la caméra.

« Maria Dueñas possède un talent incroyable », dit-elle, notant que la violoniste lui rappelait Kathleen elle-même. « C’est une personne très généreuse et humble. »

Maria apparaît dans le film comme une élève musicienne talentueuse, qui finit par apprendre et interpréter le difficile et virtuose Concerto opus 28 de Halvorsen. Sa participation au film et sa performance sont le résultat de la persistance de Bohdanowicz.

« C’est mon producteur de musique qui a attiré mon attention sur Maria », se souvient-elle. « J’ai pris contact avec l’agent de Maria pendant la pandémie. »

Au cours d’une série d’appels téléphoniques qui se sont étalés sur trois mois, Sofia a expliqué tout le projet, l’histoire de son grand-père et sa connexion avec l’histoire, Kathleen Parlow, et plus encore. Finalement, il a accepté de faire écouter la musique à Maria. C’est elle qui aurait le dernier mot : si elle sentait une connexion avec la musique, elle parlerait à Sofia. « Heureusement pour nous, elle a ressenti une connexion magnétique avec la musique. »

Sofia affirme qu’il était également facile de travailler avec Maria en tant qu’actrice. « Le dialogue lui semblait très naturel. »

La violoniste dans l’histoire est une adolescente, quelqu’un avec moins d’expérience que Dueñas dans la réalité. Bohdanowicz lui a demandé de modifier un peu son jeu pour le faire sonner comme quelqu’un de quelques années plus jeune qui pourrait avoir des difficultés par moments. « C’était très étrange de demander à une violoniste prodige de jouer moins bien », rit-elle. « Je trouve que c’était vraiment incroyable qu’elle ait accepté. »

En ce sens, le film donne un aperçu du processus artistique et de ce qu’il faut non seulement pour atteindre, mais aussi pour maintenir des compétences techniques et artistiques à un niveau mondial.

« Qu’est-ce qui constitue une bonne vie? C’était important pour moi d’explorer cette question, », dit Sofia.

Dans l’histoire, cela se traduit par un thème de sacrifice, et visuellement par une flaque de sang comme image. « Qu’est-ce qu’une personne doit sacrifier pour avoir ce genre de carrière ? » se demande-t-elle. Il y a des gens que vous devez laisser derrière vous, et des éléments de la vie typique qui ne s’adaptent tout simplement pas au niveau élevé de dévouement à votre art.

« Je ne pense pas qu’il y ait quoi que ce soit de mal dans aucun des deux choix. » Ceux qui ne font pas ces sacrifices en faveur d’une vie plus équilibrée sont tout aussi valables. « Il y a beaucoup de suppositions que nous faisons sur les personnes vraiment réussies en tant que musicien·ne·s », note-t-elle à propos de personnes comme Maria. « C’est quelqu’un qui travaille de manière incessante. »

Cela prend de la résilience et la discipline liée aux longues heures de pratique. « Au bout du compte, c’est un sacrifice. »

Yannick Nézet-Séguin a rejoint le projet. « Je suis simplement tombée sur la bonne personne », dit Sofia, en soulignant qu’il est non seulement un défenseur de la nouvelle musique, mais aussi de la redécouverte et de l’interprétation de musique perdue comme le concerto de Halvorsen.

« On a vraiment besoin de quelqu’un comme Yannick pour défendre cette musique », dit-elle. « Pour lui, il ne s’agissait pas de commercialité. J’ai été tellement émue et touchée qu’il ait pris l’opus 28 sous son aile », ajoute-t-elle. « Nous avons présenté le projet à l’OM et ils ont tous embarqué dans le projet. »

Sofia dit que beaucoup de musiciens ont été très touchés par le projet, et il y avait des larmes dans de nombreux yeux pendant l’exécution. Maria Dueñas a dit à Sofia qu’elle avait eu des frissons en jouant le concerto et avait eu l’impression qu’une présence était à ses côtés, jouant avec elle.

Le concert à la Maison symphonique a été la première canadienne de l’opus 28 de Halvorsen.

« Je pense qu’en termes d’expérience, nous avons réussi », dit Bohdanowicz.

 

Une scène tirée du fil Measures for a Funeral. (Photo : courtoisie du Festival international du film de Toronto)
Une scène tirée du fil Measures for a Funeral. (Photo : courtoisie du Festival international du film de Toronto)

L’Art de la réalisatrice

Le film est tourné avec un regard poétique; le centre-ville de Toronto n’a jamais paru aussi romantique, et des lieux comme les bibliothèques et les salles de pratique du conservatoire révèlent des angles intéressants.

La réalisatrice utilise la technique intéressante d’opposer le son aux visuels : ce que nous voyons et ce que nous entendons ne décrivent souvent pas le même scénario. Alors que nous voyons des gens jouer du violon, nous entendons un bruit semblable à un train lointain sur une voie grinçante. Alors que nous observons Audrey trier des documents et visiter des bibliothèques, nous entendons la voix de la violoniste canadienne oubliée Kathleen Parlow raconter les détails de sa vie.

C’est une manière ingénieuse d’ajouter de la profondeur aux scènes. Il faut bien l’avouer, malgré sa beauté visuelle, la recherche académique n’est généralement pas très palpitante du point de vue cinématographique. Cette double couche de perception ajoute également à l’histoire, en permettant au public de prendre conscience des détails qu’Audrey n’a pas encore découverts.

Étapes Suivantes

Measures for a Funeral sera présenté au Festival du Nouveau Cinéma à Montréal en octobre, puis au Vancouver International Film Festival.

« Après cela, nous verrons. »

Les droits de vente mondiale, à l’exclusion du Canada, pour Measures for a Funeral ont été acquis par Totem Films, basé à Paris.

La version originale de cet article a été rédigée en anglais par Anya Wassenberg pour Ludwig van Toronto et a été traduite et adaptée par Béatrice Cadrin pour Ludwig van Montréal. L’article original peut être consulté ici.

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