
Samedi et dimanche derniers avaient lieu au salon Richmond les représentations de La chauve-souris, projet final des stagiaires de l’Institut canadien d’art vocal (ICAV). Accompagnés par l’Orchestre classique de Montréal dirigé par Simon Rivard, une vingtaine de chanteurs et chanteuses en début de carrière ont fait revivre l’histoire du coup monté par Falke pour se venger de la mauvaise blague qu’il a subie de la part de son ami Eisenstein.
Les exigences d’un exercice pédagogique
L’insertion d’une deuxième œuvre, soit The Four Note Opera de Tom Johnson, au sein de La chauve-souris vient rappeler qu’il s’agit d’un exercice pédagogique et que des accommodements doivent être faits afin de fournir une expérience scénique à tout le monde. C’est malheureusement l’unique raison expliquant l’interruption abrupte de l’effervescente opérette pour faire subir au public ce deuxième mini-opéra musicalement ennuyant dont l’humour meta s’use très vite (« Je suis la soprano. Je vais chanter cet air deux fois, une fois lentement pour faire valoir mes talents lyriques, et une fois rapidement pour afficher ma virtuosité. » « Nous allons maintenant vous résumer l’air de la soprano. Elle chantera son air une première fois lentement, pour faire valoir ses talents lyriques, et une deuxième fois rapidement pour afficher sa virtuosité » « C’est maintenant le moment pour moi de reprendre l’air que j’ai chanté lentement, mais maintenant je vais le chanter rapidement » « Nous n’allons pas vous résumer l’air de la soprano, qu’elle a cette fois chanté rapidement. »). Si The Four Note Opera n’a pas réussi à passer les feux de la rampe, ce n’est pas la faute des cinq talentueux chanteurs et chanteuses aux voix convaincantes (Zoe McCormick, Isabelle Cuminato, Sébastien Comtois, Brian Alvarado et Theodore McAlindon) et du chef Simon Charette, avec l’appui de la pianiste Alona Milner, qui se sont tous acquitté avec aplomb de la tâche qui leur avait été assignée. Ce n’est pas non plus la faute de la mise en scène de Josh Major, qui injecte de l’animation dans le concept fastidieux de l’œuvre. Ils ont tous fait de leur mieux pour sublimer un matériau plombé qui n’aura jamais réussi à prendre son envol.
C’est le monde de Ludovic Jean et les autres personnages y vivent
Habilement, la metteure en scène Lorraine Pintal a repris à son profit la dimension meta en ajoutant à La chauve-souris un rôle de maître de cérémonie-narrateur joué avec délectation par Ludovic Jean, dans un esprit The Joker rencontre Tim Burton rencontre Cabaret. Par l’entremise de mimiques silencieuses ou de manipulations d’un cadre mobile encadrant son visage ou les personnages, ce maître de cérémonie/fou du roi crée une nouvelle dimension narrative au sein de laquelle Einsenstein, Falke et les autres deviennent des personnages de sa création dont il guide le destin. Hormis des babillages dérangeants auprès de membres individuels du public alors que l’orchestre jouait l’ouverture, et sa narration superflue des mouvements du directeur de prison Frank au début du troisième acte (à moins que ça n’ait été une autre blague meta subtile, une façon de se moquer du texte balourd du Four Note Opera), ce maître de cérémonie ajouté apportait réellement une nouvelle profondeur de lecture sans dénaturer l’œuvre d’origine. Pintal mérite d’ailleurs des félicitations pour l’ensemble de sa mise en scène pétillante et imaginative et pour son exploitation de l’espace offert par le salon Richmond.
La distribution
Les stagiaires de l’Institut canadien d’art vocal ont démontré le haut niveau des talents d’aujourd’hui : au sein d’une distribution d’un niveau remarquablement égal, aucun élément faible. Geoffrey Schellenberg s’est démarqué non seulement par sa voix sonore, mais également par son jeu intégrant juste ce qu’il faut de caricature dans son rôle d’Eisenstein. Abigail Sinclair, en Adèle, a égrené des « Hahaha! » impeccablement placés dans l’air « Mon cher marquis ». Megan Henry a surmonté les dialogues en français pour offrir une interprétation juste de Rosalinde, bien qu’elle aurait pu pousser un peu plus loin les couleurs de sa Czardas. Mishael Eusebio, Matt Mueller, Maddie Studt et Keunwon Park ont également habité leurs personnages respectifs avec humour et légèreté, contribuant à l’efficacité de l’ensemble.
Simon Rivard tenait adroitement les rênes d’un OCM réduit, donnant hâte de le voir diriger La bohème à l’Opéra de Montréal en mai prochain. Privé de plusieurs membres habituels, l’OCM a fourni un accompagnement solide et fiable, malgré des problèmes occasionnels d’intonation chez les premiers violons. La disposition de l’orchestre au fond de la scène ne permettant pas aux chanteurs et chanteuses de voir les gestes de Rivard, c’est la cheffe stagiaire Madeleine Krick, assise en bas de la scène côté cour, qui a vaillamment accompli la tâche ingrate de relayer ses gestes.
Le programme a été repris le dimanche avec une distribution différente.
Cocktail bénéfice
L’Institut canadien d’art vocal et sa direction bicéphale menée par le couple Étienne Dupuis–Nicole Car lance déjà une invitation à son cocktal bénéfice soulignant les vingt ans de l’organisme. Lors de cette soirée prévue le 16 septembre prochain, également au salon Richmond, le public aura l’occasion d’entendre les prestations du violoncelliste Stéphane Tétreault, du ténor Frédéric Antoun et de la mezzo-soprano Klara Martel-Laroche.
LE 16 SEPTEMBRE, 17 h 30, SALON RICHMOND DÉTAILS ET BILLETS
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