Dans le cadre d’une tournée au Canada et en Espagne, l‘Orchestre national des jeunes du Canada – NYO Canada s’arrêtait hier soir à la Maison symphonique devant un parterre bien rempli. La prestation des 94 jeunes musiciens, sous la direction de Michael Francis, fut à la fois éclatante et touchante.
C’est que l’on a affaire, ici, à une machine bien rodée, tant sur le plan artistique qu’organisationnel. Fort de commanditaires majeurs comme la Banque TD, l’orchestre, qui cumule 59 ans d’expérience au compteur, a les moyens de se payer les meilleurs professeurs, par exemple Pierre Beaudry, trombone-basse à l’OSM, qui est venu sur scène dire un mot de bienvenue.
Deux musiciennes de l’orchestre sont aussi venues nous présenter leurs 92 collègues, dont 26 proviennent du Québec. Un nombre assez élevé vient de l’Ontario et le reste étant réparti entre les autres provinces.
Composé de musiciens de 16 à 28 ans, le NYO Canada impressionne par son niveau très élevé. Nous avons devant nous la crème des jeunes instrumentistes canadiens et il s’en dégage une sonorité à la fois claire et imposante.
Le tout est dirigé de main de maître par Michael Francis, un chef sobre et confiant qui communique clairement avec ses musiciens, qui semble avoir la personnalité idéale pour accomplir sa mission pédagogique, et qui obtient d’eux les résultats qu’il souhaite obtenir.
Le programme est substantiel: en plus de l’immense Symphonie no 5 de Mahler et du Concerto pour violon et violoncelle op. 102 de Brahms, on présente une pièce commandée au compositeur canadien natif de Vancouver Jared Miller.
Intitulée Under Sea, Above Sky, cette dernière ouvre le concert. S’il arrive à l’occasion que ces commandes donnent des résultats tellement arides qu’elles nous semblent comme une sorte de brocoli avant le dessert, ce n’est pas le cas ici, car la pièce de Miller est magnifique et passionnante. Sans boule de cristal, on peut se risquer à prévoir qu’elle aura une vraie et longue vie en étant jouée souvent.
L’hommage à la Terre qu’elle veut rendre est évident par ses sonorités et son atmosphère. On songe immédiatement aux paysages côtiers et marins de la Colombie-Britannique sans même savoir que le compositeur est natif de cette province – chose que nous découvrirons par la suite en lisant sa biographie!
Si le but de Jared Miller était de décrire la nature, on peut lui attribuer une note parfaite de ce côté, avec les sons mystérieux rappelant le chant des baleines ou des oiseaux dans un écho lointain qu’il est parvenu à créer.
La deuxième partie de l’oeuvre rappelle Debussy, notamment La Mer, par sa forme, son instrumentation et ses couleurs orchestrales. Je n’aime pas les étiquettes, mais on peut hasarder ici un terme comme « néo-impressionnisme » ou impressionnisme modernisé. Quoiqu’il en soit, c’est une réussite.
Concerto pour violon et violoncelle de Brahms
Bien que l’exécution du Concerto pour violon et violoncelle op. 102 de Brahms ait été quasi impeccable, au regard de ce que l’on allait entendre après l’entracte, il nous semble, avec du recul, que c’était la partie la moins intéressante du concert.
Concerto à deux soliste rarement jouée, il s’agit de la dernière oeuvre orchestrale de Brahms, qui l’a écrite pour ses amis, le violoniste Joseph Joachim, et le violoncelliste Robert Hausmann. Si le second mouvement est particulièrement touchant avec son thème principal très poétique, le premier est un peu long et lourd.
Évidemment, les deux solistes de la soirée, la violoniste Alison Kim et le violoncelliste Matthew Christakos, maîtrisent leur instrument et possèdent une excellente technique ainsi que la musicalité que l’on peut attendre de jeunes solistes en début de carrière.
Une oeuvre à deux solistes peut s’avérer intéressante grâce au dialogue qu’elle crée entre ces instruments. Toutefois, il y a quelques pièges dans cela, à savoir que, dans une volonté consciente ou non de ne pas se voler mutuellement la vedette, les deux solistes peuvent en arriver à une sorte de moyenne, un juste milieu à ne pas confondre avec une véritable complicité. Ajoutez à cela qu’on a ici deux musiciens dont la personnalité de soliste est encore en gestation, et le résultat global s’avère tout simplement correct, avec de superbes passages, mais manque de mordant.
La Symphonie no 5
C’est avec l’extraordinaire Symphonie no 5 que l’orchestre révélera ce qu’il a dans le ventre. À 94 musiciens, la masse sonore est amplement satisfaisante, les contrastes dynamiques, sont soulignés à grands traits, le chemin est tracé pour que l’auditeur comprenne tout ce qui se passe en temps réel.
On ne peut faire autrement qu’être émerveillé par une version aussi éloquente qui met en relief l’esprit visionnaire de l’oeuvre, tellement représentative des déchirements de son époque.
Alors qu’une ère bénie d’accomplissement artistique et de prospérité tire à sa fin en Europe, cette période que Stefan Zweig a si bien décrite dans Le Monde hier, une douceur et un art de vivre sont menacés par la modernité, les tensions politiques et deux guerres à venir. Personne ne pouvait mieux exprimer cette tension que Mahler, et ce que nous avons entendu hier soir à la Maison symphonique n’avait rien à envier à des interprétations déjà entendues, entre ces murs, d’orchestres professionnels.
Après des tonnerres d’applaudissements bien mérités, on a eu droit à un rappel tout en douceur, une vraie surprise: au lieu de jouer de leur instruments (que peut-on jouer, d’ailleurs, en rappel de la Cinquième de Mahler?), les musiciens se sont levés pour chanter a cappella une pièce de la compositrice franco-ontarienne Marie-Claire Saindon, Garde ton rêve. Un moment de grâce. Elle fut suivie d’une autre pièce chantée en anglais, Lead Us Home, de Matthew Emery, conclusion parfaite d’une soirée mémorable.
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