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CRITIQUE | Opéra de Québec : Une Chauve-souris sous les néons

Par Antoine Trépanier le 17 mai 2024

La Chauve-souris à l'Opéra de Québec dans la mise en scène de Bertrand Alain et la scènographie d'Émily Wahlman. (Photo : Emmanuel Burriel)
La Chauve-souris à l’Opéra de Québec dans la mise en scène de Bertrand Alain avec les costumes d’Émily Wahlman. (Photo : Emmanuel Burriel)

par Antoine Trépanier, collaborateur invité

C’est cette semaine jusqu’à samedi qu’est présentée la toute dernière production de l’Opéra de Québec, La Chauve-souris de Johann Strauss II, en adaptation française. Comme le mot de bienvenue prend grand soin de nous le rappeler, il s’agit d’une distribution entièrement québécoise, du chant à la mise en scène, aux costumes, à la direction musicale, à la scénographie. Une production ″bien de chez nous″, locale jusque dans sa conception : l’opérette viennoise est même transposée au moment de l’Expo 67, présumément à Montréal, où ce qui ressemble à un party d’Halloween se substitue au traditionnel bal masqué. Il va sans dire qu’on aurait eu un peu de mal à digérer un chanteur allemand venu faire des blagues sur la Sélection du Reader’s Digest.

Dès les premières notes de l’ouverture, on sent l’énergie de l’orchestre. La baguette de Nicolas Ellis est bien affutée. Les tempos sont vifs, l’exécution précise. La danse prime sur le sentimentalisme. Au cours de l’opérette, on ne pourra reprocher à l’orchestre que certains excès de fougue venant couvrir le chant sur quelques apogées. Même s’il faut bien mentionner qu’à soixante contre un, ce sont des choses qui arrivent facilement.

Le rideau s’ouvre. Un escalier, une charpente, quelques meubles un peu richards. Ainsi qu’une gigantesque enseigne en néon rose fluo épelant ″bungalow″. Merci de la précision. Les éclairages en aplats de couleur viennent agréablement ponctuer ce décor minimaliste, mais ce sont les costumes d’Émily Wahlman qui ancrent réellement la scénographie, avec ses tenues de soirée élégantes pour les rôles principaux, un prince Orlofsky en paillettes avec une cape de Dracula, sans parler du chœur regorgeant de références populaires, de Gilligan à Superman. Même Nicolas Ellis se prête au jeu depuis la fosse, brandissant les poings caoutchoutés d’un costume de Robin au début du deuxième acte. Il a retiré ses gants pour diriger jusqu’à l’entracte. On le comprend.

Toutes les voix de cette distribution ont des timbres de velours. Et bien que le contraire aurait été fâcheux, la diction est assez bonne pour qu’on la souligne. On saurait presque, presque!, se passer des surtitres et tout comprendre pendant les airs. Nos cous vous en remercient. Oui, on a bien senti quelques aigus forcés çà et là, on a senti que ça pédalait parfois un peu fort pour suivre les tempos sans pitié pour toutes les syllabes à caser dans la métrique, mais rien ne dérange longtemps, et tout est facilement pardonné.

 

Dominique Côté, Catherine St-Arnaud et des membres colorés du Choeur de l'Opéra de Québec dans La Chauve-souris. (Photo : Emmanuel Burriel)
Dominique Côté, Catherine St-Arnaud et des membres colorés du Choeur de l’Opéra de Québec dans La Chauve-souris. (Photo : Emmanuel Burriel)

Le jeu théâtral, fondamental à l’opérette, est bien orchestré dans son ensemble. Dominique Côté en Eisenstein est d’un enthousiasme à la fois contagieux et juste assez pathétique. Jessica Latouche, en Rosaline, aurait pu se permettre plus d’exubérance dans sa jalousie, mais donne suffisamment pour compléter le jeu de ses collègues. Dominic Veilleux a l’air de s’amuser au moins autant que son personnage, le docteur Falke. Catherine St-Arnaud et Rose Lebeau Sabourin, Adèle et Ida, forment un duo de gamines espiègles et charmantes. Marie-Andrée Mathieu, en Prince Orlofsky, est malheureusement l’élément un peu plus faible de la distribution : la voix est d’une belle douceur, mais manque de projection, un peu dans les airs, mais surtout dans les dialogues. Éric Laporte est d’une vanité admirable; peut-être aime-t-il exhiber sa voix splendide autant que le Casanova qu’il joue. On salue son interprétation remarquée d’Aline, du chanteur de charme Christophe. Geoffroy Salvas est tout à fait crédible comme gendarme crédule, Frank, et sa complicité avec son prisonnier amuse comme il se doit. Martin Perreault, en Frosch, s’est vu confier la voix du Québec : c’est le seul personnage à qui on a permis le joual. Sa première apparition est succulente, mais il pousse le bouchon un peu fort dans son rôle de bouffon dans le troisième acte. Et finalement, Michel Blackburn, Ivan réimaginé en Ivania pour l’occasion, a toute la verve des meilleures drag queens. J’ai eu besoin du programme pour le reconnaître.

Cette Chauve-souris à l’Opéra de Québec cette semaine est un spectacle qui respire l’amour et la bonne humeur. La communication autour de celui-ci a appuyé assez lourdement sur son aspect québécois, et il faut bien admettre qu’il est vrai qu’il y a de quoi être fier de nos artistes. C’est efficace, on rit, on apprécie les références populaires saupoudrées dans le texte.

Malgré les quelques heures passées en excellente compagnie, je dois confier qu’il n’y avait pas que les traditionnels vers d’oreilles de Strauss dans mon esprit en quittant le Grand Théâtre ce soir-là. Au retour de l’entracte, Bertrand Alain, le metteur en scène, s’est permis un aparté, en demandant à Frosch de briser le quatrième mur et de s’adresser directement au public. Il a été mention de Michel Tremblay, de représentativité de la culture québécoise sur la scène. On a demandé au distingué public de l’opéra de trahir son âge en demandant qui a assisté à l’Expo 67. Mais, plutôt qu’être une minute d’histoire vaguement nationaliste, cette intervention a surtout servi à faire germer une question qui ne m’a pas quitté :

Que se serait-il passé si on avait osé prendre le beau risque de faire une adaptation complètement québécoise du texte, au lieu de se contenter de pimenter tranquillement une traduction fonctionnellement aussi vieille et aussi étrangère que le texte original? Et si on avait poussé le concept jusqu’à sa conclusion logique? On aurait changé le ton de beaucoup, soit, mais pourquoi ne pas avoir choisi d’incarner la petite révolution de Michel Tremblay, plutôt que de lui faire une révérence polie en continuant d’emprunter les codes de la comédie française? Serait-ce parce que le joual n’a toujours pas vraiment sa place à l’opéra? Rangez-moi dans le tiroir des iconoclastes si vous voulez, mais j’aurais tiré une satisfaction toute particulière en entendant le bon Eisenstein relâcher un ″tabarnak″ bien gras sur les planches de l’Opéra de Québec. À quand un bon vieux scandale pour raviver la flamme du théâtre musical en ville?

… Et si on était game de s’assumer, juste un peu plus?

LE 18 MAI, 14 H, GRAND THÉÂTRE DE QUÉBEC DÉTAILS ET BILLETS

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Antoine Trépanier
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