Le nouvel opéra du prolifique compositeur Tim Brady, INFORMATION : Montréal oct. 1970, a été créé en fin de semaine dernière à l’Espace Orange de l’édifice Wilder. Co-produite par Bradyworks et Chants libres, en collaboration avec Le Vivier, l’œuvre est le deuxième opus d’une tétralogie prévue intitulée « Espoir (et la matière noire de l’histoire) ».
Brady a opté pour une combinaison originale d’instruments – piano, guitare électrique, violoncelle et saxophone – livrant des résultats intéressants au niveau de la combinaison des timbres. L’ensemble souffre cependant d’un manque de brillant que même les passages dans l’aigu du violoncelle ne réussit pas à pallier. Peut-être en voulant laisser la place aux voix, le registre reste souvent empâté dans le médium et le grave, un effet accentué par l’usage excessif de « grupettos enchaînés », des groupes de notes répétés en boucle rapidement. Les passsages au piano seul apportent le plus de soulagement et de renouveau à la texture.
Chez les voix, la distribution fait un travail remarquable avec des lignes vocales au relief travaillé, échappant aux lignes déclamées à l’ambitus restreint favorisées par plusieurs opéras contemporains. La prosodie, lourde et statique, est cependant plus problématique – pas à cause de l’alternance français/anglais, qui fonctionne bien, mais à cause de formules rythmiques éloignées de la déclamation naturelle. Heureusement pour un opéra bilingue présenté sans surtitres, la prononciation de tous les protagonistes est claire et permet de bien suivre le récit.
Heureusement également pour une autre raison, celle-ci étant que la faute principale de cet opéra (livret de Mishka Lavigne) est de tout raconter et de peu montrer. Un des moments les plus réussis est la scène où Mary, la journaliste anglophone, sort de la clinique clandestine d’avortement pour trouver son collègue Sylvain l’attendant pour la reconduire chez elle : la vulnérabilité de l’une et la compassion respectueuse de l’autre sont mises en évidence par des moyens économes et efficaces. À l’inverse, tout ce qui touche aux événements de la Crise d’octobre est raconté avec distance et presque indifférence, malgré l’habileté de la mise en scène (Anne-Marie Donovan). Ce qui semblait être une bonne idée – raconter la Crise d’octobre du point de vue d’une salle de nouvelles combinant une journaliste anglophone fraîchement arrivée et un journaliste francophone à l’aube de la retraite – relègue ce sujet pourtant riche en matériau dramatique au niveau de récit de seconde main, sans réussir à rendre les autres couches narratives – la grossesse indésirée de Mary, la défection de la ballerine Irina – aussi prenantes.
Les exécutants
Au sein d’une distribution de grande qualité, Jacqueline Woodley s’est démarquée dans le rôle de la Voyageuse intemporelle grâce à son timbre riche et égal et à sa présence légèrement hantée dans sa double identité ballerine russe passant à l’Ouest/voyageuse dans le temps en possession d’informations choc. Le rôle de journaliste vieillissant prenant conscience des sacrifices que lui ont coûtés sa carrière convenait parfaitement à la voix de baryton chaleureusement humaine de Pierre Rancourt. En Mary Vance, le personnage le plus sollicité, Marie-Annick Béliveau a livré une prestation solide malgré une indisposition évidente rendant les aigus difficiles. David Menzies incarnait un rédacteur en chef ferme mais avenant et Clayton Kennedy, tour à tour maître de ballet, médecin ou journaliste, faisait preuve de sa maîtrise habituelle dans chaque rôle.
L’ensemble instrumental était formé des musicien.ne.s chevronné.e.s Pamela Reimer (piano), Chloé Dominguez (violoncelle), Jean-Marc Bouchard (saxophones) et Tim Brady lui-même (guitare électrique), qui ont tous su, ensemble et individuellement, rendre une partition touffue dirigée habilement par Pascal Germain-Berardi.
Bilan
On aime le courage de s’attaquer aux grands sujets des années 1970 – la Crise d’octobre, les débats sur l’avortement, la Guerre froide – et le fait de le faire dans un cadre bilingue bien intégré. On se demande par contre si ce n’est pas trop de sujets ambitieux pour un seul opéra, limitant la capacité du public à se laisser toucher par les conflits émotionnels pourtant profonds des protagonistes.