Ludwig van Montréal lance une nouvelle série explorant les gloires et les misères de la pratique active de la musique en tant qu’amateur. Ce premier texte est une contribution de notre nouvelle collaboratrice Catherine Mathieu, violoncelliste, musicologue et pédagogue passionnée par l’enseignement de la musique aux adultes. Cette passion l’a menée à fonder PraticoCello, une plateforme d’apprentissage en ligne du violoncelle.
Yeux rieurs, d’une vitalité peu commune, Madeleine arrive à son premier cours de violoncelle un peu fébrile. Cela fait quand même 50 ans qu’elle attend ce moment!
Envoûtée par la sonorité riche et profonde du violoncelle lors d’un concert en 1974, elle a rêvé toute sa vie d’apprendre à jouer du plus bel instrument du monde (ses propres mots!). Ses obligations familiales et professionnelles, puis la maladie et une situation financière plutôt précaire au décès de son mari l’ont poussée à remettre ce projet.
Mais maintenant, à 76 ans, Madeleine est prête à se lancer dans l’aventure. Son premier coup d’archet la plonge dans une joie profonde. Ses beaux yeux rieurs s’embrument un instant. La vibration du violoncelle a réveillé quelque chose de profondément enfoui en elle.
Ce genre de scène fait partie de mon quotidien depuis plus de 20 ans.
Avant d’aller plus loin, permettez-moi de me présenter : mon nom est Catherine Mathieu, je suis violoncelliste, musicologue et fondatrice de PracticoCello. Ardente défenseure de l’apprentissage de la musique à l’âge adulte, je suis témoin chaque jour des immenses bienfaits de la pratique musicale amateure.
S’initier au chant, au piano ou à la guitare à 40, 60 ou 80 ans est une expérience totalement différente de celle vécue par un écolier de six ans. Cependant, contrairement à une idée préconçue, les adultes ne sont pas nécessairement désavantagés par rapport aux enfants dans ce domaine.
Certes, les articulatoins sont souvent moins souples, le temps à consacrer à l’instrument est plutôt limité et certaines personnes font face à un fort syndrôme de l’imposteur, mais ces défis sont largement compensés par une motivation et un enthousiasme à toute épreuve, de vastes connaissances, une conscience de son corps, un sens de l’organisation et une approche plus analytique de la musique et de la technique instrumentale.
Apprendre un instrument peut avoir un impact majeur dans la vie d’un adulte.
D’un point de vue cognitif, peu d’activités stimulent autant notre cerveau que la musique. Tous les mélomanes ont déjà expérimenté cet état de grâce à l’écoute d’une œuvre qui les fait vibrer. Une étude de Robert Zatorre de l’Université McGill a d’ailleurs prouvé que les frissons provoqués par la musique sont directement associés à la sécrétion de dopamine dans le cerveau. Autrement dit, aller au concert peut déclencher une réaction de plaisir aussi forte que certaines drogues dures (sans les impacts négatifs sur la santé toutefois)!
Écouter de la musique, c’est donc déjà très bien. Mais en jouer, c’est passer au niveau supérieur.
En plus d’avoir un effet positif sur l’attention, la mémoire, l’ouïe et la motricité fine, la pratique musicale permet de développer sa confiance en soi, d’améliorer son humeur, de réduire son stress, de ressentir de la fierté et d’exprimer ses émotions sans passer par les mots.
Apprendre la musique à l’âge adulte aurait même un effet protecteur contre le vieillissement du cerveau. Les musiciens auraient moins de risques de développer une démence ou la maladie d’Alzheimer.
Et c’est sans parler de l’aspect social! Saviez-vous que chanter dans un chœur favorise la coopération et les comportements altruistes? Partager la musique avec d’autres fait probablement partie des plus grands plaisirs de la vie. Ce sentiment de communion qu’on ressent dans un chœur ou un ensemble est une expérience puissante, et ce, peu importe le niveau de jeu à l’instrument.
Faire de la musique stimule non seulement pratiquement toutes les aires de notre cerveau, mais touche aussi à cette fibre sensible que nous avons tous en nous. Faire de la musique transcende le quotidien, nous permet d’oublier nos petits tracas et de vivre pleinement l’instant présent. Elle nous permet de connecter de façon authentique avec nous-mêmes et avec les autres.
L’andragogie musicale va bien au-delà de l’enseignement de la lecture des notes, de la position des doigts sur un clavier ou de la tenue d’archet. Cela englobe également le soutien apporté à un être humain dans son cheminement vers l’autobienveillance et l’épanouissement personnel. Commencer un instrument à l’âge adulte demande souvent une bonne dose d’humilité. Ce n’est pas toujours facile de se retrouver dans la peau d’un débutant, de se sentir vulnérable et de vivre des frustrations (« mais pourquoi je ne progresse pas plus vite? »). Heureusement, les moments de joie profonde vécus seul avec son instrument ou au sein d’un groupe donnent des ailes pour poursuivre l’aventure.
Et pas besoin d’être virtuose pour profiter de tous ces bienfaits! Fredonner, taper des mains, pianoter, pincer des cordes, c’est à la portée de tous (sans mauvais jeu de mots!). Sachant tous les bénéfices qu’on peut retirer d’une activité qui apporte autant de plaisir, on serait bien fous de s’en passer!
Et vous? Avez-vous commencé l’apprentissage de la musique à l’âge adulte? Je serais curieuse de vous lire!
Pour ceux et celles qui souhaiteraient en savoir plus sur les bienfaits de l’apprentissage de la musique, je vous recommande la lecture de cet excellent livre d’Isabelle Peretz, titulaire d’une chaire de recherche en neurocognition de la musique à l’Université de Montréal :
Apprendre la musique : nouvelles des neurosciences, éditions Odile Jacob, Paris, 2018, 158 pages.
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