À l’image des récents soubresauts de Dame Nature, le public montréalais a connu hier une chute de température marquée au concert présenté par l’Orchestre symphonique de Montréal à la Maison symphonique.
La soirée a débuté avec éclat avec une Barbara Hannigan au sommet de sa forme interprétant In the Half-Light de la compositrice albertaine Zosha Di Castri — une œuvre écrite pour la soprano canadienne en collaboration avec l’écrivain Tash Aw et créée au Toronto Symphony Orchestra en 2022. Prenant forme autour du thème de l’aliénation humaine face au « passage d’un espace physique à un autre », le cycle de mélodies en 7 mouvements aborde le thème de la migration en particulier et le sentiment d’étrangéité en général. À cet égard, il eût été judicieux d’inclure le texte des courts poèmes au programme en papier car l’instantanéité des paroles projetées en salle ne permettait pas de saisir toute la puissance du livret.
Bien que la prémisse de l’œuvre soit assez abstraite, la musique demeure en revanche très concrète : la compositrice explique qu’elle s’inspire de sons réels (allant du cri du huard jusqu’aux sifflements des trains) pour ensuite les enregistrer et les transcrire en musique avec maints détails. Les impressionnantes strates sonores, construites avec précision par l’OSM et un Rafael Payare engagé, témoignent d’une superbe maîtrise des techniques d’orchestration.
Souveraine interprète
Barbara Hannigan attaque les défis imposés par la partition, dont des dynamiques extrêmes, des sauts d’octaves et des passages oscillant entre le chant et la déclamation, de façon souveraine (pourrions-nous énoncer le souhait de la voir interpréter le Pierrot lunaire à l’occasion du 150e anniversaire de naissance d’Arnold Schönberg en 2025?). La sixième (et avant-dernière) partie dont s’inspire aussi le nom de l’œuvre s’avère le véritable point culminant de la pièce : une conversation intime et méditative entre la voix et les timbales exécutée par la soprano avec une sensualité à couper le souffle. Si la balance entre l’orchestre et la soliste représente un certain défi imposé par la partition lors des premiers couplets, l’œuvre se termine sur la complicité retrouvée entre l’humaine et l’« espace physique » qui l’entoure.
Quatrième symphonie de Bruckner hâtive
L’OSM présentait en seconde moitié de concert la Quatrième symphonie d’Anton Bruckner, seule œuvre symphonique du compositeur autrichien avec une appellation officielle (Romantique) et à qui l’on attribue souvent un caractère programmatique, même si le rôle des association extra-musicales lors de sa composition est tout sauf certain. Cette symphonie existe, comme une bonne partie de l’œuvre symphonique de Bruckner, en plusieurs versions. La version interprétée hier soir était la troisième (et non la dernière!) mouture de l’œuvre, qui s’est imposée comme la version la plus populaire à ce jour et avec raison car elle articule avec grande fluidité et élégance la radicalité harmonique du compositeur.
Or dès le premier mouvement de la symphonie, une étrange sensation de déjà-vu nous frappe avec des tempos très rapides et enchaînés — un choix qui avait plutôt mal servi Rafael Payare lors de sa première incursion dans l’œuvre de Bruckner avec l’OSM en 2022. Malheureusement, plusieurs tendances problématiques observées à l’époque font surface à nouveau : les nuances semblant plafonner de mezzo-forte à fortissimo, un manque de contraste dans les tempos mais, surtout, une hâte jouant au détriment de la précision et de la rhétorique musicale.
C’est ainsi que des progressions paraissent fades tant le climax dynamique semble atteint dès la première note et que des passages empreints du caractère folklorique autrichien n’arrivent qu’à faire danser le métronome. C’est d’autant plus dommage que l’on voit l’Andante (deuxième mouvement) perdre son caractère introspectif, voire tragique, et que la vitesse galopante du Scherzo (troisième mouvement) finit par décourager les vents, à un point tel que leurs interventions deviennent approximatives et parfois même raccourcies.
Il faut patienter jusqu’à la deuxième moitié du mouvement final pour retrouver cette lenteur qui nous permet d’apprécier la fureur avec laquelle Bruckner, par ses progressions harmoniques exaltantes, élargit pour mieux déconstruire les colonnes du temple de la tradition classique. Miraculeusement, l’orchestre, dont les cuivres en particulier, retrouvent leur forme en fin de parcours. Une fin remarquable, qui donne une idée du potentiel d’une prochaine rencontre entre le chef, son orchestre et le maître autrichien.
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