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CRITIQUE | The Turn of the Screw: un magnifique diamant noir

Le trémolo léger de la soprano Andréa Nunez, pratiquement toujours en scène, une prouesse en soi vu l’exigence du rôle, illustrait bien les appréhensions de la jeune gouvernante qui débarque dans cette demeure étrange. (Photo: OSA)

Seconde collaboration entre l’Atelier Lyrique et l’Orchestre de l’Agora, The Turn of the Screw, œuvre obsessive de Benjamin Britten mise en scène par Maxime Genois et dirigée par Nicolas Ellis, présentée le week-end dernier au Nomad Life, est une réussite à tout point de vue. Dans une histoire somme toute effrayante… que du bonheur !

L’excellente mise en scène de René-Richard Cyr au Monument-National (2006) m’avait laissé un souvenir oppressant, quasi rébarbatif pour cette œuvre pourtant magnifique. La version proposée cette fin de semaine est toujours aussi noire, évidemment, mais l’approche des créateurs permet une lecture multiple. Drame gothique, conte fantastique, opéra d’horreur, hallucinations mystiques, « psychanalyse freudienne », ajoute le chef Nicolas Ellis, le spectateur se laisse porter d’un tableau à l’autre dans ces différentes dimensions de l’œuvre.

Une production jeune, par des jeunes, pour des jeunes pourrais-je ajouter au regard d’une salle pleine d’un public qui semblait constitué de mélomanes amis. Le tout dans un espace, le Nomad Life, qui rappelle les greniers de notre enfance où l’on poussait les vieux meubles, offrant un décor et une mise en espace des scènes et de l’orchestre tout à fait judicieux et créatifs : nous, public, étions sur la terrasse de cette maison, assistant, impuissants, aux événements…

Un vrai « casting » vocal

Servi par les voix de l’Atelier Lyrique de l’Opéra de Montréal, le « casting » vocal était particulièrement réussi et donnait beaucoup de crédibilité aux personnages et aux événements traversés. Le trémolo léger de la soprano Andréa Nunez, pratiquement toujours en scène, une prouesse en soi vu l’exigence du rôle, illustrait bien les appréhensions de la jeune gouvernante qui débarque dans cette demeure étrange dans la première partie, puis les frayeurs qui l’étreignent dans la seconde.

La soprano Vanessa Croome, très assurée, presque hypnotique dans le rôle du jeune Miles. À la blague, je dirais que je ne sais plus quoi dire tellement elle est talentueuse !

La soprano Elisabeth Boudreau fut une bien agréable surprise, avec une voix calme et mature, sûre et enveloppante, à l’image psychologique mais aussi physique du rôle de la petite Flora.

Mrs Grose, l’intendante était interprétée par la mezzo-soprano Florence Bourget. Le grave de sa voix servait la dimension réaliste, voire terre à terre du personnage, avec juste ce qu’il faut de fragilité ou d’inquiétude dans le timbre selon les scènes. Bravo!

 

La mise en scène des voix

Spencer Britten, ténor (Peter Quint), et Élizabeth Polèse, soprano (Miss Jessel), n’avaient rien de fantomatique en termes de présence vocale, mais leurs apparitions (un peu zombie au début, mais ça passe bien vite…) ponctuées de leurs voix mises en scène d’une façon presqu’éthérée pour ajouter à cette étrangeté composée par Britten, nous entraînaient dans une nuit somnambule. Flippant à souhait, chapeau Maxime Genois !

Sa mise en place des tableaux, l’évolution discrète des éclairages amenaient peu à peu le malaise et l’effroi. Un seul bémol, la seconde partie se passe dans une nuit trop sombre à mon goût. La convention étant alors acquise quant à l’ambiance et aux personnages, un léger plus en lumière aurait aisé le regard du spectateur, même si cela ajoutait aux peurs nocturnes évoquées…

Une direction sobre et efficace

J’ai découvert la direction d’orfèvre de Nicolas Ellis. Précis, concis, soulignant avec tact certains moments de la partition. Musicalement, les effets orchestraux étaient sobres et efficaces, rien de pompeux ni de grandiloquent, même dans les moments fortement dramatiques, épousant l’émotion sans la dicter. Même si la partition est écrite pour 13 musiciens, ce jeune chef en était le 14e instrumentiste ! Nicolas Ellis donne l’impression de conduire, plus que diriger, son orchestre selon une approche collégiale où chaque musicien trouve sa place.

Bref, vous l’aurez compris, j’ai a-do-ré !

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