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CRITIQUE | Messe solennelle pour une pleine lune d’été : un coup de poing d’une rare intensité

Dominique Côté (à gauche) et Dominic Lorange forment un couple dans Messe solennelle pour une pleine lune d'été (Photo: courtoisie du Festival d'opéra de Québec)
Dominique Côté (à gauche) et Dominic Lorange forment un couple dans Messe solennelle pour une pleine lune d’été (Photo: Eric Laroche)

La création de l’opéra Messe solennelle pour une pleine lune d’été, de Christian Thomas, basé sur la pièce de Michel Tremblay, avait lieu le samedi 29 juillet au Palais Montcalm dans le cadre de la 12e édition du Festival d’opéra de Québec. Un opéra d’une rare intensité dans une production réussie sur tous les plans, que le public a salué d’une ovation triomphale. 

Après avoir été bouleversée par Albertine en cinq temps l’automne dernier, je ne pouvais pas ne pas assister à la création de ce nouvel opéra 100% québécois basé sur une œuvre de Michel Tremblay, d’ailleurs présent pour cette première. Les heures de route en valaient la peine pour découvrir une œuvre coup de poing dans cette adaptation magistrale.

Sur scène, onze personnages : cinq couples ou duos, et une veuve en solo. De ces duos, quatre vivent une cohabitation pénible en interdépendance. Le tout se passe en un acte découpé symboliquement comme les quatorze parties d’une messe catholique romaine projetées en surtitres (Kyrie, Dies Irae, Lacrymosa, etc).

La scénographie est habile : des balcons de fer forgé de hauteurs différentes où prennent place ces couples laissent entrevoir un quartier populaire dont tous les habitants se connaissent, par un soir de pleine lune et de chaleur accablante. Sur le plan visuel, cette utilisation de structures apporte du relief et une profondeur que je préfère aux projections, sans pour autant surcharger la scène. Aucun gadget inutile ne vient détourner l’attention de ce qui est important : les personnages, la musique et les mots.

 

Messe solennelle pour une pleine lune d’été, de Christian Thomas, au Festival d’opéra de Québec, 2023 (Photo: Eric Laroche)

Pour chanter leurs airs respectifs, les personnages descendent dans la rue. L’orchestre (Les Violons du Roy, dirigés par Thomas Le Duc-Moreau) est installé derrière ces structures, ce qui lui permet d’être bien présent sans nous distraire du propos.

Derrière chaque porte, dans chaque appartement, chacun est aux prises avec sa propre tragédie dont les aspects sordides ne nous sont pas épargnés. Ce tableau naturaliste illustre la brutalité de la vie et du ravage des ans sur des êtres dépassés par ce qui leur arrive : la mort, le deuil, la maladie, l’abus, l’inceste, la rupture, la trahison, la dépression, la violence ou tout simplement, l’amour qui se désagrège sous les coups répétés de l’usure du temps.

Yvon et Gérard (Dominic Lorange, ténor, et Dominique Côté, baryton) sont un couple homosexuel qui a connu des jours meilleurs et à qui le VIH – que l’on découvre amené par une infidélité de Gérard – vient pourrir le quotidien.

Jeannine et Louise (Ariane Girard, mezzo-soprano, et Jessica Latouche, soprano) sont aussi un vieux couple dont l’amour s’étiole et s’avère frappé par les tentations violentes de Jeannine. Rose et Mathieu (Priscilla-Ann Tremblay, contralto, et Patrice Côté, baryton) sont une mère désemparée et son fils dépressif. Gérard et Mireille (Alain Coulombe, basse, et Chantal Parent, soprano), un père handicapé (il a perdu ses bras dans un accident) et sa fille, obligée de s’en occuper, dans une relation d’abus, de manipulation et d’inceste. Quant à La Veuve (Lyne Fortin, soprano), elle pleure la mort récente de son mari et la perte de leur passion.

Le seul couple heureux est jeune et beau. Yannick (Jean-Michel Richer, ténor) et Isabelle (Magali Simard-Galdès, soprano) sont au début de leur vie à deux, encore habités par la passion. Un peu comme Madeleine, la petite sœur d’Albertine en cinq temps, ils représentent le bonheur, la légèreté, cette naïveté de ceux qui n’ont pas été frappés par la malchance.

Dans cet étalage de drames personnels illustrant des souffrances bien universelles, les voix prennent toute la place. Semi-mélodique, l’écriture vocale respecte bien la prosodie et démontre des intentions claires. Le compositeur termine la plupart des phrases sur un crescendo appuyé ou une note forte allongeant la dernière syllabe. On présume ici une volonté d’exploiter les voix au maximum, mais celles-ci, de même que le propos, auraient été mieux servis par l’intégration de contrastes dynamiques plus marqués. Des passages plus doux auraient amené une respiration, un soulagement occasionnel à travers cette tension quasi insoutenable. Mais dans l’ensemble, la musique, bien écrite et dense, est au service du texte dont elle épouse les contours émotifs. Les passages les plus mélodiques reviennent à l’orchestre dans de très belles transitions.

 

Priscilla-Ann Tremblay, contralto, incarne Rose dans Messe solennelle pour une pleine lune d’été, de Christian Thomas (Photo: Eric Laroche)

Les interprètes sont franchement remarquables. Personne ne déçoit sur le plan vocal et tous jouent de façon juste et convaincante, ce qui démontre une excellente direction de la part d’Alain Zouvi, un homme de théâtre expérimenté qui met son savoir-faire au service du propos de Tremblay. Bien qu’il s’agisse de sa première mise en scène d’opéra, on lui lève notre chapeau, car il s’agit d’un sans-faute.

Pris dans ce tourbillon de malheurs et de situations intenables exacerbées par la canicule, les personnages expriment leur désarroi, la tristesse, la colère, l’exaspération, l’impuissance et l’incompréhension. Ils le font grâce à un livret magistral où Christian Thomas est allé à l’essentiel du texte de Tremblay, archéologue de la condition humaine. Tour à tour, chaque personnage viendra, dans un air, exprimer sa vérité sur des mots qui déchirent comme autant de coups de couteau.

Ces moments où chacun nous raconte son histoire sont l’occasion pour chaque artiste de briller sur le plan vocal mais aussi dans l’incarnation sincère et crédible d’un personnage, au-delà des stéréotypes, dans une communication de sentiments et d’émotions complexes qui viennent nous chercher. On est particulièrement impressionné par les prestations de Lyne Fortin, d’Ariane Girard, de Jessica Latouche, de Priscilla-Ann Tremblay, d’Alain Coulombe et de Dominique Côté.

Se sauver soi-même

À travers tout ce malheur, l’espoir est symbolisé par la pleine lune de cette nuit d’été. Dans une société où la religion a pris le bord, l’être humain a toujours besoin de croire en quelque chose. Il aspire à une forme de rédemption. À la fin, Yvon et Gérard dansent un tango, comme pour prouver que malgré toute la merde qui nous entoure, on peut avoir du fun. C’est le message que j’en retiens, mais chacun peut bien s’en faire sa propre explication.

À la fin de cette chaude soirée, chacun retourne à ses petits gestes, ses solutions de l’immédiat.

La conclusion nous fait comprendre que le salut ne viendra pas d’une quelconque force salvatrice extérieure mais réside peut-être tout simplement dans le fait de serrer les dents et de continuer. Il n’y a pas de miracles. Trouver des petits morceaux de courage en nous ou les cueillir ici et là dans les détails du quotidien et continuer à avancer. Faire ce qu’on peut malgré tout.

C’est cela, la résilience.

 

Deux autres représentations de Messe solennelle pour une pleine lune d’été sont prévues au Festival d’opéra de Québec, le 31 juillet et le 2 août. 

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