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CRITIQUE | Philip Glass et Koyaanisqatsi : succès retentissant à la Maison symphonique

Philip Glass et le chef Michael Riesman se serrent la main après la représentation de Koyaanisqatsi du 14 septembre 2019 à la Maison symphonique.

C’est une tâche ardue d’écrire au sujet d’œuvres mythiques comme le sont le film et la trame sonore Koyaanisqatsi. Encore plus quand la trame sonore est jouée en direct sur scène par le compositeur, lui-même une légende de la musique. Philip Glass et son ensemble ont arrêté le temps, hier soir à la Maison symphonique.

 

J’ai pris la peine de mentionner séparément le film et la trame sonore, car les deux sont reconnus comme ayant marqué l’histoire de leurs arts respectifs, mais leur mérite individuel est amplifié par la fusion exceptionnelle atteinte à l’écran entre le son et l’image.

 

Godfrey (Reggio, le réalisateur) et moi avons travaillé pendant trois ans à réaliser l’assemblage entre les images et la musique de KOYAANISQATSI. Il s’agit d’une collaboration entre film et musique d’une intensité sans précédent. – Philip Glass, cité dans le programme

La première partir du film Koyaanisqatsi présente de magnifiques prises de vue de paysages. (Photo : Sylvain Légaré)

Pendant près de 90 minutes défilent à l’écran des images impressionnantes, organisées en trois sections principales : d’abord des paysages naturels, suivis d’une longue section dévouée à la technologie développée par les humains, pour finir avec une série de portraits resserrés de passants au Times Square de New York. Bien qu’entièrement dépourvu de dialogue, le film est généralement compris comme dénonçant l’emprise de la technologie sur la vie humaine de notre civilisation. Le réalisateur se défend cependant d’avoir voulu transmettre un message spécifique :

Le rôle du film est de provoquer, de poser des questions auxquelles seul le public peut répondre. C’est la plus haute valeur de toute œuvre d’art que de ne pas avoir de sens prédéterminé, mais plutôt un sens issu de l’expérience de la rencontre. – Godfrey Reggio, cité dans le programme

Rencontre qui a certainement eu lieu hier soir à la Maison symphonique, remplie jusque dans les galeries. Le public conquis d’avance a offert un accueil chaleureux aux membres du Philip Glass Ensemble. Hormis Philip Glass lui-même aux claviers, il s’agit de Ted Baker (claviers), Lisa Bielawa (claviers, voix), Dan Bora (mixage sonore en direct), Jon Gibson (bois), Peter Hess (bois), Ryan Kelly (ingénieur du son sur scène), Nelson Padgett (claviers), Mick Rossi (claviers) et Andrew Sterman (bois), dirigés par Michael Riesman, jouant aussi des claviers.

Cette unique représentation en sol canadien du ciné-concert KOYAANISQATSI – Life out of Balance était organisée par Traquen’Art.

Le Philip Glass Ensemble sur la scène de la Maison symphonique. (Photo : Sylvain Légaré)

Koyaanisqatsi, la vie en déséquilibre

La trame sonore imaginée par Philip Glass s’inscrit parfaitement dans le courant minimaliste dont il est un des représentants principaux. Le pouvoir de cette musique réside dans sa simplicité envoûtante. Le mot Koyaanisqatsi (signifiant « vie déséquilibrée » ou « état d’existence qui appelle un nouveau mode de vie » en langue hopi, un peuple autochtone du nord de l’Arizona) psalmodié par une basse profonde au tout début du film crée une atmosphère à la fois dépouillée et légèrement inquiétante.

Un des moments les plus forts correspond à la reprise du chant Koyaanisqatsi, cette fois chanté par une chorale, accompagnant des images de la longue chute au sol d’un morceau enflammé s’étant détaché d’une fusée lors d’un test de lancement de la NASA. Une mélancolie indéfinissable émane de cette scène.

Depuis la création du film, la globalisation de l’information et l’affaiblissement de l’emprise américaine sur la scène internationale rendent plus perceptible le côté partial de sa facture. Toutes les images – paysages naturels comme images urbaines et industrielles – ont été filmées aux États-Unis et pourtant, commentaires et analyses formulent leurs conclusions comme si elles étaient applicables à la planète entière, avec tous ses modes de vie et toutes ses populations diverses.

De ce point de vue, la lecture de Koyaanisqatsi est heureusement équilibrée par le deuxième épisode de la trilogie Qatsi, Powaqqatsi (1988), qui se penche sur la vie quotidienne exigeante des populations de pays sous-développés. (Le troisième épisode, Naqoyqatsi (2001), explore les avancées du numérique et de la réalité virtuelle.)

Des décalages occasionnels entre l’écran et la scène n’ont servi qu’à nous rappeler la chance que nous avions d’assister à cette prestation exceptionnelle. La chaleur et la présence d’une prestation humaine faillible est-elle préférable à la perfection offerte par l’exécution machinale d’une trame sonore pré-enregistrée? C’était hier soir une des questions provoquées par le film, et la réponse du public a été un « oui » retentissant, appuyée par une ovation debout et des applaudissements à tout rompre.

 

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