Ludwig Van Montreal

CRITIQUE | Roomful of Teeth à la Salle Bourgie : Une soirée manquant de mordant

Roomful of Teeth (Photo : courtoisie
Roomful of Teeth (Photo : courtoisie)

Hier soir, la Salle Bourgie accueillait l’ensemble américain Roomful of Teeth, un groupe vocal possédant un statut un peu culte dans le monde de la musique vocale contemporaine. Fondé par Brad Wells en 2009, il comptait un temps parmi ses membres la compositrice Caroline Shaw, devenue en 2013 la plus jeune récipiendaire d’un prix Pulitzer de musique pour sa pièce Partita a 8.

La vocation du groupe est avant tout l’expérimentation et l’éclatement du répertoire. Citant comme inspiration des ensembles principalement instrumentaux tels que Alarm Will Sound et Bang on a Can, Roomful of Teeth s’est fait un nom en abattant les a priori de la composition pour la voix, intégrant de façon courante des techniques provenant d’autres traditions (chants de gorge, yodeling, p’ansori coréen, chant georgien, musique hindustani ou chant classique perse), des effets sonores vocaux sans paroles et la manipulation électronique.

Répertoire

Le programme d’hier soir ouvrait avec Vesper Sparrow, une pièce de Missy Mazzoli faisant partie du répertoire courant de Roomful of Teeth : elle fait partie de leur deuxième album (Render, 2015) et le groupe l’a reprise à plusieurs occasions depuis. Cette familiarité perçait dans l’aisance avec laquelle les huit interprètes se sont lancés dans l’exécution de la courte composition. L’homophonie du court texte, confié aux voix de femmes, forme un contraste avec la tapisserie complexe de syllabes onomatopéiques répétées en vives formules rythmiques décalées.

Venait ensuite une longue pièce de Christopher Cerrone, Friday’s Saints, présentée en première canadienne. Des enregistrements de chants traditionnels siciliens récoltés sur le terrain par le compositeur servent de trame de base aux quatre voix graves du groupe, lesquelles sont de plus traitées électroniquement. L’intention déclarée du compositeur d’explorer à travers cette superposition sa double identité américaine et italienne est plus prometteuse que le résultat : la pièce offre de bons passages, mais le matériau et son traitement peinent à justifier la durée de 25 minutes qui leur est consacrée.

Malheureusement, cette longueur et la redondance des effets n’a pas mis la table favorablement pour la pièce suivante, « GaNaDaRaMaBaSaAJaChaKaTaPaHa » extrait de Bits torn from words de Peter S. Shin, qui exploitait encore ce même effet que je qualifie d’en guimbarde (« waa waa waa waa »), manifestement très (trop) prisé des interprètes de Roomful of Teeth et des gens qui composent pour eux.

C’est au retour de la pause qu’a été présentée la pièce la plus variée et de loin la plus réussie, soit The Isle de Caroline Shaw. Composée en 2016, l’œuvre met en musique des extraits de The Tempest de Shakespeare. Structurellement équilibrée, elle est composée de différentes sections ne s’étirant jamais en longueur, changeant de texture et de formule avant de s’essouffler, tout en maintenant un niveau constant d’intérêt.

Le contraste avec la pièce suivante n’en a été que plus grand. Ce long fouillis pénible, difforme et d’un vocabulaire musical anodin et irritant était la triste création d’une membre du groupe, Mingjia Chen. Contrairement au doigté sensible démontré par la facture de l’œuvre de Shaw, COMIC CON est un déversement d’idées éparses dont aucune n’est intéressante, rassemblées en un tout d’une complaisance éprouvante. Ici encore, la prémisse éveillait pourtant la curiosité, l’atmosphère d’un Comic con (convention autour du monde du comic où les adeptes portent souvent des déguisements élaborés) servant supposément de contexte pour explorer la relation confuse entre le vrai et le faux.

Roomful of Teeth n’a vraiment pas rendu service à Peter S. Shin avec l’ordre du programme : épuisée par la pièce précédente, j’ai à peine porté attention au deuxième extrait de Bits torn from words présenté en conclusion de soirée.

Exécution

Certains des paramètres habituels, tels que la clarté de la conduite des voix et le raffinement des nuances, perdent toute pertinence dans le cas du répertoire privilégié par Roomful of Teeth. Les degrés d’intensité sont atteints par retrait ou ajout de voix plus souvent que par modulations dynamiques, tandis que l’utilisation systématique de micros individuels et l’ajout de réverbération ont tendance à gommer les sonorités individuelles. Quelques passages moins enchevêtrés, dont certains à l’unisson, laissaient cependant deviner que la recherche d’un fondu homogène de timbres, d’attaques et même de justesse ne compte pas parmi les priorités de leur travail. Similairement, bien que certains passages des œuvres au programme amplifient volontairement la confusion créée par différents textes se superposant, il restait suffisamment de lignes exposées où une diction plus claire aurait été un atout.

Le mérite de Roomful of Teeth est donc concentré dans son approche innovante, son esprit aventurier et son goût du risque, impossibles sans l’acceptation inhérente d’une certaine inconstance, ou d’une inconstance certaine, dans l’intérêt du résultat.

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