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CRITIQUE | Elias au Festival Bach : Samy Moussa hyperactif, Ingenpass souverain

L'Orchestre et le Chœur du Festival international Bach Montréal, les solistes Mireille Lebel (assise), Mireille Asselin, Konstantin Ingenpass et Patrick Grahl (assis), sous la direction de Samy Moussa. (Photo : courtoisie Festival international Bach Montréal)
L’Orchestre et le Chœur du Festival international Bach Montréal, les solistes Mireille Lebel (assise), Mireille Asselin, Konstantin Ingenpass et Patrick Grahl (assis), sous la direction de Samy Moussa. (Photo : courtoisie Festival international Bach Montréal)

Le Festival international Bach de Montréal a officiellement ouvert en grandes pompes par la présentation de l’oratorio Elias de Mendelssohn (en allemand, et non comme c’est souvent le cas en anglais) vendredi soir à la Maison symphonique, également présenté la veille au Palais Montcalm de Québec. L’Orchestre et le Chœur du Festival ainsi que les solistes Mireille Asselin, Mireille Lebel, Patrick Grahl et Konstantin Ingenpass (ce dernier remplaçant au pied levé Matthias Winckhler) étaient placés sous la direction du compositeur et chef d’orchestre d’origine montréalaise Samy Moussa.

À quoi sert la technique?

À une époque valorisant le style individuel, est-ce encore pertinent d’acquérir les bases normées d’une technique donnée ou si cela équivaut à sacrifier notre individualité pour se fondre dans un moule établi? Le professeur de direction d’orchestre Kenneth Kiesler dit, « Vaut mieux un·e chef·fe qui a dix idées, mais sait les montrer, que quelqu’un qui a 30 idées, mais n’en fait passer aucune. »

En musique, l’acquisition d’une bonne technique a deux buts : réduire au minimum les points de friction entre une intention musicale et sa réalisation, et protéger l’interprète contre les blessures, qu’elles soient subites ou d’usure. Certains chef·fe·s ont une vision si forte que l’intensité de leur intention transcende les obstacles créés par leur manque de technique et mène à un résultat musical suffisamment convaincant pour qu’on en accepte les faiblesses comme faisant partie de leur style personnel. Quand ces chefs ont déjà acquis une réputation d’excellence dans une autre spécialité du domaine musical, on leur accorde le privilège de travailler directement avec des ensembles du plus haut niveau professionnel.

Je ne sais pas comment Samy Moussa a entamé sa carrière de direction. À la lumière du concert de vendredi soir dernier, je peux conclure qu’en plus d’être un excellent compositeur, il est également un excellent interprète, avec de bonnes idées. Mais je peux aussi dire qu’il gaspille une quantité incroyable d’énergie dans des gestes superflus et même carrément dommageables. La façon qu’il a de propulser l’orchestre vers un tempo plus rapide en se pliant à partir des hanches et en donnant des impulsions vers le haut avec tout le torse est extrêmement inefficiente et risque de lui causer des douleurs dans un délai assez court. Le geste sec par lequel il indique les coupures de consonnes à la fin des phrases, en plus de donner un choc physique inutile à son bras alors qu’il devrait se soucier de le ménager, est l’équivalent d’une claque au visage pour le chœur. La consonne coupe net, certes – mais ce geste intempestif n’offre aucune nuance, aucune façon de différentier entre la fermeture d’un t, d’un s ou d’un n.

Cette impatience dans les gestes a des incidences même dans les pauses : être constamment engagé dans des gestes précipités fausse la perception du temps, donnant au chef l’impression d’avoir laisser respirer la musique suffisamment longtemps, alors qu’en réalité, l’enchaînement s’est fait un peu trop rapidement. À sa défense, dans le cas d’accords forts enchaînés, Moussa a bien laissé s’éteindre la résonance avant d’indiquer l’accord suivant.

Les récitatifs, dynamiques et bien ensemble, sont également à placer dans la colonne des réussites : sa direction volontaire et sèche y était à sa place, tout comme dans les nombreux passages puissants et hargneux

Je lui souhaite d’avoir dans son entourage une voix bienveillante en mesure de lui conseiller une pause, le temps d’intégrer une technique de direction physiquement moins taxante et procurant le bénéfice pas si secondaire de transmettre sa vision plus efficacement. J’attendrai la démonstration de ses progrès avant de me joindre au chœur des louanges s’élevant en harmonie depuis les prestations de la semaine dernière.

Elias

Cela dit, l’intention des paragraphes ci-haut n’est pas de gâcher le plaisir de qui que ce soit : il s’agissait réellement d’un beau concert. L’excellent chœur avait été préparé avec soin et compétence par Jean-Sébastien Vallée, chef de chœur attitré du Festival en plus de ses fonctions au Département de direction de la Schulich School of Music de l’université McGill et au Toronto Mendelssohn Choir. À noter que dans l’Orchestre, également d’un très bon niveau, la section des cuivres était soutenue par l’ophicléide (Alexander Belser) demandé par Mendelssohn et non par le tuba moderne qui le remplace souvent, pour un résultat plus transparent.

Difficile de croire que Konstantin Ingenpass n’était là que par la force d’un remplacement de dernière minute : il confère au personnage d’Elias la gravitas appropriée, tout en exprimant par un jeu nuancé le parcours émotif du prophète, à travers confiance souveraine, emportement digne et découragement hésitant. Vocalement, sa voix résonante sert bien l’autorité assurée du prophète et ses graves sonores sont mis à profit dans quelques passages.

Le ténor soyeux de Patrick Grahl s’opposait bien au baryton plus rond d’Ingenpass. À l’alto, Mireille Lebel, très bonne dans toutes ses interventions, a réussi à donner un sens à un air que j’ai toujours trouvé difficile à cerner, le « Weh ihnen, dass sie von mir weichen ». Je n’ai pas trouvé l’interprétation de Mireille Asselin, une chanteuse que j’apprécie par ailleurs, aussi bien définie que celles de ses collègues, notamment dans le numéro de la Veuve ayant perdu son enfant. Ses interventions suivantes donnent voix à des rôles d’ange, où son soprano léger s’épanouissait cette fois de façon convaincante.

Le Festival international Bach de Montréal se poursuit en divers lieux jusqu’au 7 décembre, où il conclura par une présentation de la Passion selon Saint-Jean présentée par l’Orchestre du Festival et le Chœur de la Fondation Bach St. Gallen, venu de Suisse avec son chef Rudolf Lutz. Leur concert de motets la veille et ce concert sont les premiers concerts en Amérique du Nord pour cet ensemble qui présente et enregistre une cantate de Bach mensuellement depuis 20 ans.

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