
Pour entendre le Voyage d’hiver de Wolfgang Holzmair jeudi soir dernier à la Salle Bourgie, il fallait d’abord se taper un désagréable voyage d’automne, sous une pluie déprimante et rébarbative. Les pieds complètement mouillés, j’ai bien failli rebrousser chemin et faire une croix sur ce récital que j’attendais pourtant depuis le dévoilement de la saison. J’ai été récompensée de ma vaillance par une soirée d’émotion raffinée offerte par un artiste accompli.
Mes notes prises au cours de la soirée ne sont constituées que d’extraits de texte gribouillés rapidement pour me rappeler de passages particulièrement réussis. Il ne s’agissait pas que d’un bête moyen pour situer mes remarques sans l’appui d’une partition : le texte est au cœur même de toute la prestation de Holzmair. Le chanteur autrichien s’appuie sur une connaissance intime, profonde et viscérale des poèmes de Wilhelm Müller sélectionnés par Schubert. On en oublie presque qu’il chante – non pas parce que tout est parlando, mais parce que tout est déclamé de façon entièrement naturelle, la ligne mélodique étant une dimension servant la transmission de sens sans entrave.
Holzmair est visiblement habité par la musique, dont il devient le véhicule souple et consentant. Il sculpte chaque phrase comme un orfèvre attentif au moindre détail, tout en gardant un œil sur la vue d’ensemble. Aucune ligne n’est reprise de la même façon, même dans les poèmes jouant avec la répétition (« Mein Herz, mein Herz » de Die Post). Il varie les timbres, combinant majesté et tendresse dans Der Lindenbaum, adoptant une approche plus folklorique dans Frühlingstraum et poussant sans retenue la douleur d’un son blanc aux couleurs presque modernes dans Der Leiermann. L’intonation occasionnellement moins bien centrée dans les débuts de mouvements et le registre grave n’arrivant pas à se déployer dans les tempos allants sont de bien petits prix à payer en échange des trésors d’expression et de finesse artistique qui nous ont été offerts.
Après un début quelque peu anodin au piano, où le tempo rapide choisi par le chanteur a semblé bousculer l’accompagnement, Olivier Godin a soutenu son partenaire musical avec autant de sensibilité et de différentiation que celui-ci, faisant ressortir le caractère de chaque récit miniature.
Lors du dévoilement du projet de l’intégrale Schubert en mai 2024, Olivier Godin avait qualifié les lieder du compositeur de « mini-opéras, des histoires de deux ou trois minutes où la partie de piano fournit tout à la fois les décors, la lumière et les costumes. » Le récital de jeudi dernier en a été la représentation parfaite, le pianiste établissant une « mise en scène sonore » au cœur de laquelle le chanteur incarnait chaque rôle en pénétrant toutes les dimensions du ressenti humain.