Ludwig Van Montreal

CRITIQUE | Blanche Neige et le miroir aux GBC : Quand le miroir éclate

Maude Sabourin portée par les danseurs masqués des Grands Ballets canadiens. (Photo : Sasha Onyshenko)
Maude Sabourin portée par les danseurs masqués des Grands Ballets canadiens. (Photo : Sasha Onyshenko)

Les Grands Ballets canadiens poursuivent leur saison avec une version moderne de l’histoire de Blanche Neige plus proche de l’esthétique de la science-fiction dystopique que du conte de fée enchanteur. Le chorégraphe français Étienne Béchard, dont c’est la troisième collaboration avec les Grands Ballets, donne corps au Miroir et en fait un personnage à part entière, ce qui lui permet d’exploiter l’influence qu’a celui-ci sur les conflits entre les protagonistes.

Le ton est donné dès le lever du rideau : le danseur Étienne Delorme, incarnation masquée du Miroir, exécute un numéro seul sur scène, alors qu’une voix hors-champ s’adresse au public. Langage corporel et scénographie, tout nous campe résolument dans une ère contemporaine. La représentation de l’intelligence artificielle par des projections numériques se réunissant en une vague forme de tête humaine est un peu cliché pour avoir été trop vue dans des films, mais peu importe : l’idée n’est pas de réinventer le genre de la science-fiction futuriste, mais au contraire d’y faire référence par des codes aisément déchiffrables.

 

Seul sur scène, Étienne Delorm dans son rôle du Miroir au tout début du spectacle. (Photo : Sasha Onyshenko)

Cela s’applique à l’ensemble de la production : les chorégraphies ne bousculent rien, mais appliquent le vocabulaire bien établi de la danse contemporaine de façon efficace et éloquente pour dégager de nouvelles pistes de réflexions d’un récit extrêmement familier. L’équilibre entre numéros d’ensemble, pas de deux et solos est réussi, pour un intérêt soutenu. En plus d’Étienne Delorme, la distribution des représentations en soirée (celle des matinées est différente) permet d’admirer l’élégance achevée de Maude Sabourin en tant que Reine et l’énergie explosive de Célestin Boutin dans le rôle de Chavalant, une combinaison du Chasseur et du Prince charmant. Tuesday Rain Leduc fait ses débuts dans un premier rôle en incarnant Blanche Neige avec fluidité et charme. L’idée touchante de présenter Blanche Neige enfant, en l’occurrence sous les traits de Chloé Heininen, et l’ellipse de temps visuelle façon cinématographique pour la faire passer à l’âge adulte sont efficaces.

Comme souvent aux Grands Ballets, des problèmes de synchronisation se font sentir dans les ensembles. Il faut dire que les justaucorps noirs dont sont habillés les Sept, réinterprétation des sept nains, ne pardonnent rien et même accentuent les désaccords dans les mouvements.

La musique

Dans la fosse, l’orchestre des Grands Ballets, placé sous la direction d’Andrei Feher, interprète des extraits d’œuvres de Saint-Saens, Dukas et Respighi, ainsi que des sélections des différents concertos pour violon de J. S. Bach retravaillées par le compositeur suédois Johan Ullen. La partie de soliste est confiée à Uliana Drugova, de retour auprès de l’orchestre des Grands Ballets après y avoir interprété le Concerto pour violon de Stravinsky en 2022.

 

Tuesday Rain Leduc et les danseurs et danseuses des Grands Ballets canadiens. (Photo : Sasha Onyshenko)

La combinaison d’œuvres du passé et de sonorités électroniques modernes employées dans les arrangements et dans les habillages sonores est réussie et colle bien au récit présenté sur scène. Même si le contexte d’un spectacle de ballet présente d’autres exigences que celui de la salle de concert, j’aurais bien aimé entendre les emphases harmoniques aux bons endroits dans Bach, en appuyant par exemple la dissonance plutôt que la résolution. Pour ce qui est de la présence exagérée des lignes de basses trop vrombissantes, impossible de la commenter de façon éclairée : l’horrible amplification de l’orchestre avait, entre autres vices, celui de tout mettre sur un même plan, anéantissant toute profondeur et toute dimension. Ses autres vices étaient une prise de son d’une proximité absurde aux instruments (mais amplifiant du même coup les éternuements émanant des premières rangées du public) et la réverbération excessive. En 2022, lors de la prestation d’Uliana Drugova dans le concerto de Stravinsky, l’amplification peu raffinée transformait sa riche sonorité en moquerie d’elle-même, ne laissant qu’un filet de son mince et grêle. On semble avoir tenté cette fois une approche différente, avec tout aussi peu de succès.

Ce peu de soin accordé à la qualité sonore chez les GBC est quand même stupéfiante. C’est comme si, après des heures et des heures de répétitions à porter attention au plus petit détail, les danseurs·euses étaient forcé·e·s de se produire sur un plancher couvert de pelures de bananes, déformant leurs mouvements, ou qu’une peintre ayant peiné laborieusement sur une dépiction soigneuse la voyait exposée dans une galerie où une direction malveillante forçait tout le monde à observer ses œuvres avec des lunettes déformantes. Cela sabote carrément le travail accompli : mon appréciation de la soirée en a réellement souffert, le plaisir qu’éprouvaient mes yeux à admirer la prestation sur scène étant constamment contredit par la torture à laquelle étaient soumises mes oreilles.

Abstraction faite cependant de cette dimension, Blanche Neige et le miroir est un spectacle réussi, qui véhicule son message dans un langage visuel clair et esthétiquement interpellant.

REPRÉSENTATIONS RESTANTES : LES 24 ET 25 OCTOBRE, 20 H; LES 25 ET 26 OCTOBRE, 14 H  DÉTAILS ET BILLETS

Inscrivez-vous à notre infolettre! La musique classique et l’opéra en 5 minutes, chaque jour ICI.