Ludwig Van Montreal

CRITIQUE | Ouverture de saison à l’OSM : Entre enfer et damnation, des lueurs célestes

L'OSM, le Chœur de l'OSM et les Petits chanteurs de Laval ainsi que les solistes Karen Cargill, Andrew Staples et Willard White sous la direction de Rafael Payare. (Photo : Antoine Saito)
L’OSM, le Chœur de l’OSM et les Petits chanteurs de Laval ainsi que les solistes Karen Cargill, Andrew Staples et Willard White sous la direction de Rafael Payare. (Photo : Antoine Saito)

Pour l’ouverture de saison de l’Orchestre symphonique de Montréal (OSM), Rafael Payare a choisi de présenter La Damnation de Faust de Berlioz, cette « légende dramatique » (appellation choisie par le compositeur) qui, sans être une œuvre ressassée à outrance, fait partie de l’histoire de l’orchestre depuis 1943. On se souviendra que sous Charles Dutoit, l’orchestre l’avait enregistrée, bien qu’il ne s’agisse pas de la plus grande réussite de sa discographie berliozienne.

Après avoir abordé la Symphonie fantastique en concert et en tournée, (cette dernière œuvre fait d’ailleurs l’objet d’un enregistrement disponible sous peu sous étiquette Pentatone), Payare revient donc à Berlioz et en explore la partition riche et subtile, tout en nourrissant l’héritage de cette musique française dans l’évolution de l’orchestre.

L’enfer de la prononciation française

Cette Damnation reste une œuvre complexe parce que très hybride, destinée au concert, donc plus proche de l’oratorio dans sa forme, mais pétrie de drame théâtral qui laisse croire qu’une scène d’opéra pourrait lui rendre justice, ce qui n’est que rarement le cas! (Le Festival d’opéra de Québec en a fait sa présentation principale en 2013, dans une mise en scène de Robert Lepage.) Cette forme hybride fait en sorte que le chœur, bien qu’essentiel, n’est pas nécessairement omniprésent, tandis que les solistes, et plus particulièrement le rôle de Faust, sont particulièrement sollicités.

Pour ce concert-ci, les quatre solistes choisi·e·s sont tous anglophones. Certes, chanter en français n’est pas l’apanage exclusif des francophones, et on connaît de nombreux chanteurs·euses né·e·s dans la langue de Purcell maîtrisant admirablement bien la langue de Berlioz, mais dans la distribution qui nous était proposée, nous en étions loin.

En aucun cas n’est-ce la valeur intrinsèquement musicale des artistes qui est remise en cause. Le ténor Andrew Staples, artiste multidisciplinaire qui conjugue une carrière vocale à celle de cinéaste, fait preuve d’un sens musical naturel et fluide – tant qu’on n’écoute pas trop les mots. Car sa projection étrangement arrondie modifie à outrance les sonorités de la langue française, ce qui déforme considérablement le texte, sombrant parfois dans des substitutions de mots frôlant le ridicule.

Incarnant Méphistophélès, Willard White offre une performance de belle tenue, avec une couleur vocale sombre et pénétrante, quoi que certains aigus, plutôt rares dans la partition, étaient plus frêles. On admire l’art consommé du chanteur, bien qu’on ait ici l’impression qu’il n’était pas aussi à l’aise que dans d’autres rôles plus marquants de sa carrière. De la distribution choisie, il est assurément celui qui maîtrise le mieux la prononciation française. Sans représenter un parcours sans faute, la prestation du chanteur nous permet à tout le moins de décrocher des sur-titres sans perdre le fil du propos.

Pour le rôle de Marguerite, Karen Cargill offre une très bonne interprétation musicale, mais ici encore alourdie par une diction pataude. Cargill nous avait ébloui l’année dernière dans son air des Gurrelieder de Schoenberg, et on la retrouvait ici avec autant de plaisir. Pour la romance de Marguerite (D’amour, l’ardente flamme), l’émotion était à fleur de peau. Elle nous a offert l’un des moments de magie de la soirée.

Pour le petit rôle de Brander, le baryton-basse Ashley Riches a quant à lui démontré une belle énergie et un sens comique bien à propos.

Mais voilà le nœud du problème : nous étions légitimement en droit de nous attendre à mieux pour un concert d’ouverture de saison d’une des plus importantes institutions culturelles du Québec, et qui plus est dans un répertoire français. Certes, les vedettes et les grands noms de la scène internationale ajoutent au prestige de l’institution et de l’événement, mais de nombreux chanteurs·euses d’ici auraient été aussi bon·ne·s, voire même meilleur·e·s, que les artistes choisi·e·s ici, et ce tant du point de vue de la prononciation que des qualités musicales.

Orchestre et chœur en grande forme

Si la distribution vocale ne nous a pas semblé parfaite, l’orchestre, en revanche, était dans une grande forme! Il est clairement à l’aise dans les couleurs et les textures dictées par le compositeur, et la direction de Payare approfondit les effets et les innovations de la partition.

L’OSM gère autant les moments de délicatesse et de dentelle que ceux de débordements de décibels avec finesse et musicalité. On retiendra notamment les trombones éclatants et particulièrement bien définis, particulièrement dans la célèbre « Marche hongroise » et dans le « Pandaemonium », mouvement fort audacieux pour l’époque.

Soulignons finalement le chœur très bien préparé par Andrew Megill – auquel s’est ajouté pour le final les Petits chanteurs de Laval, préparés par Philippe Ostiguy – et plus particulièrement les voix masculines, qui sont très sollicitées dans cette partition iconoclaste. Quel plaisir que d’entendre ces voix aussi solides que bien dirigées dans les divers caractères de l’œuvre.

Au final, l’OSM poursuit son exploration du répertoire français et approfondit cette musique avec panache, ne reniant pas son passé glorieux dans le domaine, mais ne s’embourbant pas non plus dans une vision figée de cette esthétique. Il serait néanmoins bienvenu que le choix des solistes invité·e·s soit en adéquation avec cette réputation d’excellence.

Le programme est repris ce soir à la Maison symphonique à 19 h 30.

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