
Jeudi soir dernier, l’Orchestre classique de Montréal offrait un concert dans le cadre du Mois de l’histoire des Noir·e·s pour lequel il avait assemblé un programme d’œuvres par des compositeurs afro-descendants, dont la création de Le deuil des roses qui s’effeuillent. Fruit d’une commande de l’OCM au compositeur David Bontemps, ce cycle de chansons met en musique des poèmes de l’écrivain haïtien Jacques Roumain à l’occasion du 80e anniversaire de sa mort.
C’est suite à la première collaboration fructueuse entre l’OCM et David Bontemps pour l’opéra La flambeau, créé en 2023 et enregistré sur étiquette ATMA, que le directeur général Taras Kulish a commandé au jeune compositeur un cycle de chansons à l’intention de la soprano camerounaise Suzanne Taffot. Les neuf poèmes de Jacques Roumain sélectionnés par Bontemps, au cœur desquels trône la nature en tant que thème omniprésent, ne semblent qu’avoir attendus d’être mis en musique, tellement ils s’y prêtent bien.
Bontemps livre neuf mouvements d’atmosphères variées, exploitant toutes les techniques de variations de textures innées au jeu des cordes. Le recours aux pizzicatos – incontournable dans Pluie (« La pluie, monotone dacylo, tapote aux fenêtres closes.« ) – et aux tremolos prend à la longue un certain caractère de facilité tellement ces deux techniques reviennent souvent, mais le ponticello est appliqué à propos dans Après-midi (« Des moucherons bruissent, mandolines minuscules.« ). Dans Guinée, le contraste entre les lignes morcelées de l’orchestre et le legatissimo soutenu de la voix est parfaitement équilibré.
Suzanne Taffot a mis sa voix pleine et résonante au service de l’œuvre écrite pour elle. De retour sur scène en conlusion de concert, la soprano a offert quatre spirituals (Deep River, Give Me Jesus particulièrement prenant, Sometimes I Feel Like a Motherless Child, He’s Got the Whole World in His Hands) qui ont permis d’apprécier encore plus sa présence scénique et d’entendre quelques variations de couleurs dans la voix, manquant de la première prestation.
La cheffe panamo-américaine Kalena Bovell faisait sa deuxième apparition au Canada, après avoir dirigé l’opéra Treemonisha de Scott Joplin à Toronto en 2023. Bovell possède une gestuelle élégante et différenciée, ainsi qu’une présence chaleureuse sur le podium. Les deux mouvements charmants mais un peu doucereux constituant Noveletten de Samuel Coleridge-Taylor ne lui ont pas donné grand chose de substance à se mettre sous la main. Les Danzas de Panama de William Grant Still ont apporté une énergie d’une part langoureuse, d’autre part enjouée (un apport bienvenu dans un programme penchant vers un excès de mouvements lents) tandis que Lyric for Strings de George Walker puisait dans un désir nostalgique d’un lyrisme intense.
L’orchestre
C’était la première fois que j’entendais l’OCM depuis la rupture fracassante de son entente avec le directeur musical et chef Jacques Lacombe. Il est injuste de comparer un orchestre sous la tutelle d’un chef régulier expérimenté et le même orchestre dirigé par une cheffe invitée en début de carrière, mais je dois vraiment dire que le contraste est décevant. L’OCM, qui avait démontré une progression remarquable au cours de la saison 2023-2024, est rapidement retourné en arrière : attaques vagues, accrocs d’intonation, phrasés statiques, manque de fondu au sein des sections et manque d’uniformité d’intention d’une section à l’autre. Certes, le programme entier était constitué d’œuvres ne faisant pas partie du répertoire courant, incluant une création entièrement nouvelle. Cependant, hormis leur nouveauté et, j’imagine, un temps de répétition restreint, aucune de ces œuvres ne posait de défi d’exécution particulier.
Le réception enthousiaste du concert d’hier soir prouve qu’une exécution d’ensemble impeccable n’est pas toujours le facteur principal du succès d’un concert. Dans le cas présent, un programme parfaitement en adéquation avec le contexte d’exécution, une nouvelle œuvre musicale de qualité puisant dans un corpus littéraire à découvrir, une soprano à la voix vibrante et une cheffe en pleine ascension ont formé un tout convaincant et une soirée réussie. Pour assurer un fondement solide à tous ces éléments cependant, l’OCM doit impérativement et rapidement se doter d’une direction musicale à la main ferme, à l’oreille affinée, aux exigences sans compromis et possédant une capacité exemplaire de gestion du temps de répétition.