
La Salle Bourgie accueillait hier soir le réputé violoniste Leonidas Kavakos, qui offrait la deuxième moitié d’une intégrale des sonates et partitas pour violon seul de Bach entamée au Club musical de Québec deux jours auparavant.
Par la façon différenciée dont il attaque les accords, par celle dont il se permet de jouer avec la longueur des notes pour souligner leur rôle dans la conduite des voix, Leonidas Kavakos fait la démonstration d’une approche réfléchie et mûrie, et d’une volonté de rafraîchir le discours de ces œuvres jouées maintes et maintes fois. Que l’archet glisse plus d’une fois sur les cordes supérieures sans les faire parler est certes étonnant de la part d’un interprète de ce calibre (son crin d’archet est-il usé, ou maladapté aux températures actuelles?), mais n’annule pas en soi la qualité et la profondeur de l’interprétation offerte.
Sans s’inscrire entièrement dans le mouvement des interprétations historiquement informées sur instruments d’époque, Kavakos s’en inspire clairement. L’ornementation qu’il se permet d’ajouter – trilles, mordants, remplissage de grands sauts par l’ajout de passages en mouvement conjoint – est constamment gracieuse et suscite le ravissement.
L’articulation fait elle aussi l’objet d’une recherche attentionnée : au fil d’un arpège descendant, Kavakos passe progressivement d’un legato sur les notes supérieures à un staccato soigné sur les graves, un choix confirmé par les reprises en séquence du motif qui reçoivent le même traitement. Les coups d’archet, parfois originaux, sont au service des fonctions harmoniques. Cela s’exprime par exemple dans les cadences dont le mouvement mélodique se poursuit au-delà du point de chute du mouvement harmonique, dont les dernières notes sont réarticulées à la pointe sans changer de direction, leur conservant ainsi la légèreté appropriée.
L’emploi judicieux de variations de nuances et de coloris constitue un autre point fort. Les reprises, en plus de donner lieu aux ajouts d’ornementation mentionnés, sont variées soit par l’ajout d’un écho veloûté ou au contraire, d’une présentation plus affirmée. La réalisation chambranlante de certaines intentions joue cependant des tours au violoniste, spécifiquement au début de la fugue de la première sonate : en voulant amplifier l’addition séquentielle des voix par l’ajout d’un crescendo contrôlé, Kavakos s’oblige à aborder la première entrée dans une nuance très douce, pour un résultat plus ou moins heureux hier soir. Il faut dire qu’en général, ses débuts de mouvements sont précipités et manquent de préparation anticipée, alors que ses finales sont soignées et remplies d’atmosphère (qu’il étire d’ailleurs parfois trop).
Au sujet de cette fugue, ajoutons que le tempo choisi était étonnamment lent, plus lent que celui de son propre enregistrement, nourrissant les soupçons que le violoniste lui-même ou son instrument était indisposé et porté à opter pour la prudence.
Nonobstant cette réserve, Kavakos réussit le mieux dans les coloris tendres, transportant le public dans des contrées intérieures dont l’enchantement semble à l’abri des corruptions du monde extérieur. À ce titre, la sicilienne de la première sonate et la sarabande de la première partita ont représenté de grands moments.
Malheureusement, les mouvements énergiques remplis d’accords souffrent, eux, d’une sonorité un peu rêche provoquée par un mouvement d’archet trop vertical. Conséquemment, le début de la grande chaconne de la Partita en ré mineur, qui couronne le concert, manque d’ampleur et de résonnance, bien que la suite soit garnie de trouvailles et ciselée comme un bijou.
Dans l’ensemble, le violoniste grec a brillé par des choix originaux, une approche mûrie et des moments de grâce où tous les éléments ont convergé pour former un résultat d’une beauté inaliénable. La surprise de la soirée, étant donné la réputation de l’invité, a été la fragilité de ces moments.