Ludwig Van Montreal

CRITIQUE | Flamboyante fin de saison pour les Violons du Roy

Nicolas Ellis et les altistes Isaac Chalk et Annie Morrier des Violons du Roy. (Photo : David Mendoza Hélaine)
Nicolas Ellis et les altistes Isaac Chalk et Annie Morrier des Violons du Roy. (Photo : David Mendoza Hélaine)

Vendredi dernier, les Violons du Roy ont clos leur saison à la salle Bourgie sous la direction de Nicolas Ellis avec un programme regroupant des œuvres contemporaines judicieusement choisies et interprétées avec une ferveur hors du commun.

Répertoire contemporain donc, mais aux esthétiques accueillantes et ouvertes, loin d’une expérimentation sonore déconcertante. L’œuvre la plus ancienne, entorse à ce menu d’œuvres récentes, était la Fantasia on a Theme by Thomas Tallis de Ralph Vaughan Williams, un chef-d’œuvre datant de 1910 (mais ici présenté dans sa version révisée de 1919) et qui mériterait d’être joué plus souvent dans nos saisons de concert. Exploitant l’espace et l’acoustique de la salle Bourgie, les musiciens solistes de l’ensemble prenaient place au balcon, tandis que le reste de l’orchestre demeurait sur scène, permettant d’accentuer les contrastes de couleurs et de masses propre à cette partition envoûtante. L’effet était carrément magique. Couplé à une interprétation fluide et une sonorité feutrée et riche, cela ouvrait le concert avec de très hauts standards.

 

Andréanne Brisson Paquin (Photo : Pierre-Étienne Bergeron)

Tendre et sensuelle Andréanne Brisson Paquin

Les Three Songs d’Osvaldo Golijov suivaient avec comme soliste invitée Andréanne Brisson Paquin qui sut aviver la flamme de la musique du compositeur argentino-américain. Ce dernier a un don pour créer des atmosphères où la voix plane au-dessus d’un univers instrumental hypnotisant. La magie opéra grâce à la musicalité sensuelle et tendre de la soprano, soutenue par une direction sensible et aguerrie de la part de Nicolas Ellis. Choix étrange : il a été décidé de placer l’entracte entre le deuxième et troisième mouvements du cycle, brisant la structure interne de l’œuvre afin de la soumettre à une structure conceptuelle du programme de la soirée. Même si le résultat était convenable de façon globale avec le reste du concert, ce choix demeure discutable.

Avec Three Wings, du canadien d’origine américaine Marcus Goddard, l’enthousiasme monte d’un cran. Un peu comme Vaughan Williams qui puisa son inspiration dans l’œuvre d’un compositeur de la Renaissance, Goddard se tourne vers une musique ancienne, en l’occurrence un hymne d’Hildegarde de Bingen, non pas pour exposer une citation factice mais bien pour en faire une source vive d’où émanera une musique palpitante, riche en couleurs et en textures, mais surtout fascinante et emballante pour l’auditeur. Sa pièce a un souffle dramatique, un discours tout autant épique qu’intime, et déploie avec une vive intelligence des procédés contemporains sans pour autant tomber dans l’écueil de l’hermétisme. Une œuvre fascinante d’un compositeur dont on espère découvrir son travail plus en profondeur.

Et pour clore dans l’énergie et la réjouissance, l’orchestre interpréta Orawa du polonais Wojciech Kilar. Compositeur peut-être plus connu des cinéphiles (on lui doit notamment la musique du Dracula de Francis Ford Coppola), il est encore trop peu connu du public des concerts (on rêverait d’entendre à Montréal son poème symphonique Krzesany, véritable feu d’artifice pour les oreilles). Avec cette œuvre vive, Kilar signe une partition redevable autant à Bartòk (son Divertimento pour orchestre à cordes n’est pas loin) qu’à la musique folklorique polonaise, mais toujours avec une touche nouvelle et unique qui fait mouche. Le public enthousiaste a clairement été emporté par cette œuvre jouée avec une énergie contagieuse.

Création des Interludes de Claudie Bertounesque

Parsemés à travers le concert, les trois Interludes de la jeune compositrice québécoise Claudie Bertounesque, donnés ici en création, nous permettaient de découvrir un talent rare, une voix d’une grande maturité qui s’impose déjà comme une valeur sûre dans l’écosystème de la création musicale d’ici. Il est un peu regrettable cependant que de ces trois pièces, les deux premières servent de prologue à une œuvre au programme : reléguer cette musique au rôle d’atmosphère préparatoire est un peu ingrat au regard du talent que la compositrice dévoile dans sa création. Reprenant habilement le cantique de Tallis pour introduire la musique de Vaughan Williams, puis s’inspirant d’Hildegarde de Bingen pour guider l’écoute de la création de Goddard, Bertounesque s’est acquitté avec éloquence d’une commande conceptuelle strictement associée à l’arche dramatique du programme. Le troisième interlude était quant à lui plus substantiel, personnel et réellement emballant : une véritable œuvre d’art, cohérente et consistante. La compositrice y dévoile un imaginaire passionnant qui captive l’auditeur grâce à un langage maîtrisé au service d’une expression sincère. Il est impressionnant de voir sa facilité à coupler des trames électroacoustiques aux textures instrumentales qu’elle élabore dans sa partition. Un talent à suivre, en espérant qu’on lui propose une place de choix dans de futurs programmes.

À tout cela s’ajoutait la projection d’illustrations de Frédéric Ellis. C’était joli, mais la musique parlait d’elle-même, elle n’avait pas besoin de plus pour plaire. Sous le titre de Rêves fantastiques, ce concert semblait conçu comme un concept où les œuvres dévoilaient leur potentiel onirique, voire imagé. Dieu merci, on n’a pas appuyé à outrance sur ce concept, cela aurait été superflu. Faisons confiance à la musique : lorsqu’elle est bonne, elle se suffit à elle-même! Un répertoire nouveau mais brillant et éloquent, un orchestre engagé et un chef enthousiaste, voilà les ingrédients pour une soirée mémorable. La recette était la bonne!

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