Ludwig Van Montreal

CRITIQUE | La Belle époque parisienne forme un cadre approprié pour une opulente La Traviata à l’Opéra de Montréal

Le chœur coloré et dynamique, peuplé de personnages plein de vie et d'émotions, constitue un des points forts de La Traviata de l'Opéra de Montréal. (Photo : Vivien Gaumand)
Le chœur coloré et dynamique, peuplé de personnages plein de vie et d’émotions, constitue un des points forts de La Traviata de l’Opéra de Montréal. (Photo : Vivien Gaumand)

Il reste deux occasions d’aller voir l’opulente production de La Traviata mise en scène par Alain Gauthier à l’Opéra de Montréal. La transposition de l’action dans le Paris de la Belle époque s’exprime par une scénographie somptueuse adroitement transformée selon les tableaux. Les moments les plus réussis sont les scènes festives, c’est-à-dire le premier acte et le finale du deuxième acte chez Flora, mettant en scène un chœur coloré et dynamique, peuplé de personnages plein de vie et d’émotions.

Le premier acte est mené à rythme effervescent parfaitement ajusté aux émotions fortes qui s’y déroulent. Les scènes de groupe et celles établissant l’intimité naissante entre Violetta et Alfredo s’enchaînent avec naturel, soutenues par un Orchestre Métropolitain en grande forme et flexible entre les mains de Jordan de Souza. La Violetta de Talise Trevigne est elle aussi en magnifique forme vocale. Si son jeu manque un peu de différentiation, ce n’est pas encore un inconvénient. Antoine Bélanger, relevant avec succès le défi d’un remplacement de dernière minute, joue un Alfredo maladroit et déguingandé, plus proche du nerd solitaire que du jeune homme confiant habitué à fréquenter les fêtes. Ce choix dramatique d’abord étonnant révèle sa logique au fur et à mesure du déroulement de l’opéra (son inconscience complète des frais occasionnés par l’entretien d’une vaste maison et d’un mode de vie faste, ses réactions immatures face à son père et à Violetta, le manque de logique entre ses raisonnements et ses actions), sauf pour un point : pourquoi diable Violetta est-elle amoureuse à ce point de ce grand enfant sans personnalité …

Les vertus du premier acte deviennent cependant les vices du deuxième : dans la scène entre Germont père (James Westman) et Violetta, tout passe trop vite. Dans la fosse, l’orchestre s’épanche dans des revirements poignants de registre émotif, sans que ces changements ne soient réflétés sur scène. On attendait en vain un changement de timbre ou un appui même minime sur tel intervalle ou telle harmonie pour exprimer la substantifique moelle des notes, en elles-mêmes magistrales il est vrai, de Verdi. Westman fournit des efforts louables pour transmettre les différents états d’âme du patriarche confronté à une femme aux valeurs « vertueuses » plutôt que la courtisane légère à laquelle il s’attendait, sans que le résultat ne traverse suffisamment la rampe (la salle Wilfrid-Pelletier est grande et peu conciliante, ce n’est pas une nouvelle…).

 

Talise Trevigne en Violetta Valéry (Photo : Vivien Gaumand)

Chez Trevigne, à l’éclat fortissimo manifestant son premier refus de quitter Alfredo pour toujours (« Ah no! Giammai! »), on espérait découvrir du coffre jusque là gardé en réserve, mais ce ne fut pas le cas : la voix est telle que présentée dans le premier acte, maîtrisée, satisfaisante, mais sans richesse cachée. L’agitation inhérente au passage suivant cet éclat (« Non sapete quale affetto ») est évacuée par un rythme trop consciencieusement placé, respectant la lettre mais non l’esprit de la partition.

(Parlant de lettre, bravo à Simon Aldrich, premier clarinettiste de l’OM, pour le magnifique solo déchirant nous faisant plonger au cœur du désarroi de Violetta tandis qu’elle écrit la lettre devant la séparer pour toujours d’Alfredo.)

Le troisième acte achève de démontrer que les véritables acteurs de l’histoire sont Giorgio Germont et Violetta, et que la maturation du passif Alfredo ne se fait qu’au prix de la mort de Violetta. La rédemption de la femme dévoyée, la traviata, se produit bien plus par l’affection reçue du père que par la passion turbulente offerte par le fils.

Finalement, on espère que le pieux mensonge du Docteur Grenvil (solide Jean-Philippe McClish) à l’intention de Violetta, « La convalescence n’est pas loin », s’appliquera avec plus de vérité au contingent de tuberculeux qui peuplait la salle Wilfrid-Pelletier jeudi soir. On croise les doigts qu’ils et elles attenderont la guérison complète avant de se représenter à un événement public …

ERRATUM Une version précédente de cet article annonçait de façon erronée qu’il ne restait qu’une représentation samedi soir, alors qu’en fait la prochaine représentation est dimanche après-midi, en plus d’une supplémentaire ajoutée le 14 au soir.

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