
Fermement établi dans le paysage musical montréalais, l’Orchestre symphonique des jeunes de Montréal (OSJM) souffle cette année 50 bougies. Cinquante années, cela représente de nombreuses cohortes de jeunes instrumentistes, dont plusieurs ont poursuivi des voies professionnelles musicales : on retrouve des ancien·ne·s de l’OSJM dans (et même devant) des ensembles musicaux professionnels de Montréal et d’ailleurs. D’autres ont fait du jeu d’un instrument leur passe-temps préféré – quoiqu’on devrait peut-être changer l’expression pour gobe-temps, tellement ils et elles y mettent du temps! Peu importe leur titre professionnel, tous·tes ces instrumentistes ont en commun une passion brûlante pour la musique d’ensemble, passion qui remonte à leur séjour au sein de l’OSJM.
Quant à la bougie d’allumage de cette passion, il ne faut pas chercher loin pour la trouver : elle prend la forme élancée de Louis Lavigueur, le directeur musical et artistique de l’OSJM depuis 40 ans. Avec une combinaison de rigueur et de bienveillance, le chef pousse ses jeunes troupes vers le prochain défi, les encourageant constamment à viser plus haut, tout en leur faisant bien saisir l’engagement qu’ils et elles prennent envers la musique et le groupe.
Car à l’OSJM, le plaisir repose d’abord sur la quête d’un objectif commun. Les exigences sont élevées : chaque instrumentiste doit passer une nouvelle audition à chaque saison, et sauf exception grave, la présence aux répétitions est non négociable. Ce dernier point n’est cependant pas problématique, le chef se chargeant de donner envie à chaque membre d’être présent pour travailler de concours avec ses pairs.
Cela passe entre autres par un choix du répertoire stimulant : Lavigueur n’hésite pas à confier les plus grandes œuvres à ces jeunes dont l’appétit insatiable ne demande qu’à en faire une bouchée. Et si des doutes l’assaillent, il se fait vivement rappeler à l’ordre par des moyens peu orthodoxes, comme en témoigne cette anecdote qu’il nous a livrée en entrevue : « Alors que l’orchestre était en tournée dans le Bas du Fleuve et en Gaspésie, les jeunes savaient que j’hésitais à programmer Schéhérazade pour la saison suivante. Derrière mon dos, ils ont entrepris de faire signer une pétition aux membres du public de Rimouski, Gaspé et Sainte-Anne-des-Monts pour me convaincre! »
« Rigueur, plaisir, harmonie, ce sont les mots qui me viennent en tête lorsque je pense à mes années à l’orchestre. Ce fut l’occasion pour moi qui étudiais en enseignement de partager de la musique de haut niveau avec d’autres talentueux passionnés. C’est cette diversité dans les musiciens qui rendent l’orchestre si spécial à mon avis : notre objectif commun de faire de la musique de haut niveau nous rassemble et nous donne un grand sentiment d’appartenance tout en nous permettant de nous plonger dans de grandes oeuvres symphoniques. » – Sandrine Ladouceur, membre de 2018 à 2024, enseignante en sciences au secondaire
Création
La relation entre Louis Lavigueur et l’OSJM dure en réalité depuis plus que quarante ans, puisqu’avant de prendre la direction musicale de l’ensemble, le jeune flûtiste qu’il était avait la charge des sectionnelles des bois. L’orchestre, fondé en 1976 à l’initiative de la mécène Sandra Wilson, s’appelait alors Orchestre civique des jeunes de Montréal. Mario Duschenes et Jacques Clément en ont été les principaux chefs au cours des dix premières années. C’est le départ de ce dernier pour prendre la direction du Conservatoire de musique de Chicoutimi qui a mené à la nomination du chef actuel, après un bref intérim rempli par Peter Gardner, chef de l’Orchestre symphonique des jeunes de Terre-Neuve.
« J’ai eu le plaisir d’être de la toute première répétition de l’OSJM (alors OCJM) en septembre 1976. J’avais 14 ans, c’était ma première expérience d’orchestre symphonique. Depuis, la musique symphonique a fait partie intégrante de ma vie, je joue encore avec Sinfonia de Montréal et d’autres ensembles. L’OSJM m’a apporté le privilège de faire partie d’un groupe de gens passionnés, brillants, amoureux de la musique, et curieux en général dans tous les aspects de la vie. Un gros merci à Sandra Wilson, fondatrice de l’orchestre. Grâce à sa ténacité, cette dame a créé un joyau. Espérons que sa contribution à la vie culturelle de Montréal sera reconnue pour longtemps. » – Francis Lortie, membre de 1976 à 1981, spécialiste technique en aérospatiale
Changement de nom grâce à une rencontre fortuite
Au sujet du changement de nom de l’orchestre, Louis Lavigueur sort une autre anecdote de sa boîte à souvenirs : « Notre demande de changement de nom, dont les démarches ont été entreprises peu de temps après mon arrivée, a d’abord été refusée par le Registraire des entreprises. Semble-t-il qu’un autre organisme s’objectait au nouveau nom. Quand on a demandé des précisions, ils nous ont dit que c’était l’OSM qui s’y opposait. Le hasard a voulu que quelques temps plus tard, j’assiste au mariage d’un neveu – et que je me retrouve assis à côté de Zarin Mehta, qui était à cette époque directeur général de l’OSM. On fait connaissance, il me demande ce que je fais. Je lui parle de l’orchestre des jeunes et du problème qu’on rencontrait avec notre demande de changement de nom. Il a tout de suite accepté de retirer l’objection de l’OSM. Et c’est comme ça que l’OSJM a pu prendre son nom d’aujourd’hui, par une rencontre sur les bancs d’église! »
« Pendant les 11 années où j’ai été membre en règle de l’Orchestre, j’ai toujours eu l’impression d’avoir le privilège de vivre l’âge d’or de l’OSJM : tournées en Grèce, en France, en Gaspésie, à Québec; enregistrement de disques et plein d’autres aventures… Mais avec le recul, je constate que l’OSJM semble dans un âge d’or éternel! Cela demeure à ce jour la meilleure façon de passer sa jeunesse! » – Véronique Lamontagne, membre de 1996 à 2004, Science des données
Saison anniversaire
Évidemment, une saison célébrant deux anniversaires aussi marquants se doit de présenter des programmes à la hauteur de l’importance de l’événement. La saison s’ouvre ce samedi 22 novembre par un grand concert en compagnie d’un partenaire récurrent de l’OSJM, le Chœur classique de Montréal. En combinant ces deux ensembles qu’il dirige, Louis Lavigueur se donne les moyens de présenter la Neuvième symphonie de Beethoven, une œuvre qui ne figurait pas encore au répertoire de l’OSJM. Le quatuor de solistes invités est formé d’Aline Kutan (soprano), Stéphanie Pothier (mezzo), Emmanuel Hasler (ténor) et Alexandre Sylvestre (basse).
En prélude à la symphonie, les cuivres de l’orchestre seront mis en valeur dans Fanfare for the common man de Copland. Viendra ensuite un coup de chapeau au passé avec l’ouverture de Ruslan et Ludmila de Glinka. Cette ouverture d’une énergie frénétique comptait parmi les toutes premières pièces dirigées par Louis Lavigueur avec l’orchestre, et n’a pas été reprise depuis. L’Ouverture pour une fête académique, dans laquelle Brahms combine des chants étudiants, salue la jeunesse des interprètes, tandis que la variation « Nimrod », extraite des Variations Enigma, est dédiée à tous ceux et toutes celles qui ont contribué au succès de l’orchestre au fil des ans.
Le prochain programme est encore plus ambitieux, s’attaquant à deux grands chefs-d’œuvre du début du siècle dernier, La mer de Debussy et le Sacre du printemps de Stravinsky. Ce n’est pas la première fois que Lavigueur et l’OSJM montent le Sacre du printemps : en 2016, l’orchestre avait accompagné les représentations de la troupe de danse de Marie Chouinard au Théâtre Maisonneuve. La pièce concertante est le Deuxième concerto pour piano de Beethoven, interprété par le lauréat du Prix d’Europe 2025, Samuel Lauzon-Schnittka.
« De la Chine à la Belgique, en passant par Washington et le prestigieux Konzerthaus Berlin, l’OSJM a profondément influencé mon parcours tant personnel que professionnel. L’ensemble m’a offert un cadre où j’ai pu me dépasser, apprendre et m’épanouir. J’y ai appris la discipline et la persévérance, mais aussi de vivre la musique dans ce qu’elle a de plus rassembleur. Longue vie à l’OSJM! » – Michèle-Andrée Lanoue, membre de 2006 à 2017, Communications
Le programme du troisième concert officiel de la saison a été conçu en tenant compte de la tournée qui suivra, du 16 au 28 juillet 2026. Ainsi, après le concert du 23 mai, les partitions de l’ouverture Der Freischütz de Weber et de la Huitième symphonie de Dvorak resteront dans les cartables pour prendre leur envol vers le Vieux Continent. Au cours de cette dixième tournée, l’Orchestre s’arrêtera à Bad Reichenhall en Allemagne, à Salzbourg et à Vienne en Autriche, à Ljubljana en Slovénie et à Pula en Croatie.
« L’OSJM a été un tremplin inestimable, un lieu d’apprentissage, de camaraderie et d’inspiration. Il m’a appris à travailler en équipe, à viser l’excellence, à écouter les autres avant de me faire entendre — des valeurs que j’applique encore chaque jour, que ce soit en salle de concert, au bureau d’ingénierie ou à la maison avec mes trois enfants, tous musiciens à leur tour. » – Nayiri Piloyan, membre de 1994 à 2004, ingénieure
Et l’avenir?
Louis Lavigueur est bien conscient que l’OSJM se trouve en position de privilège, financièrement et en termes de bassin de recrutement. Ailleurs, la pandémie a représenté une coupure dramatique pour plusieurs orchestres de jeunes, qui peinent à retrouver l’élan d’avant. Grâce au programme Placement Culture, l’OSJM possède des assises financières solides. C’est ce qui lui a permis d’engager une directrice générale, Anne-Marie Desbiens, que le chef décrit comme « dangereusement efficace » et « une locomotive! ».
À la question s’il y a encore des œuvres qu’il rêverait de diriger, le chef hésite un peu, pour finalement laisser échapper une réponse : le War Requiem de Britten, ajoutant aussitôt, « Mais ce n’est pas possible! »
Je crois que l’heure est venue de lancer une nouvelle pétition…
MOMENT DE JOIE : LE 22 NOVEMBRE, 19 H 30, ÉGLISE SAINT-JEAN-BAPTISTE DÉTAILS ET BILLETS