
L’ensemble Caprice fait paraître aujourd’hui sur étiquette ATMA son album Vivaldi : Les quatre nations, un quatuor de concertos combinant authentique compositions d’époque et reconstitutions éclairées, entraînant l’auditoire dans un jeu de masques baroque.
« Vers la fin de sa vie, appauvri, Vivaldi essayait de vendre de ses concertos. Il savait que les œuvres portant des titres descriptifs se vendaient mieux, alors il avait conçu cette série de quatre concertos censés représentés chacun une nation différente – l’Angleterre, la France, l’Espagne et l’Inde (ou l’empire moghol, à l’époque). On en connaît l’existence parce qu’ils sont inclus dans le répertoire des compositions de Vivaldi, mais les partitions étaient perdues, » raconte Matthias Maute, flûtiste, compositeur et directeur musical de l’ensemble Caprice.
En 2010, cependant, un historien de la musique nommé Andrew Woolley a découvert un exemplaire d’une des partitions perdues, identifiée par son titre Il Gran Mogol, dans les Archives nationales d’Écosse. Elle y serait arrivée au cours des années 1730 par l’entremise d’un certain Lord Robert Kerr. Les Nations n’étaient désormais perdues qu’aux trois-quarts.
De son côté, Matthias Maute s’était déjà fait la main à reconstituer le style compositionnel de Vivaldi en complétant en 2013 l’opéra Motezuma, dont presque la moitié de la musique manquait. La version Vivaldi/Maute de Motezuma a été donnée au Festival Montréal Baroque en 2013, puis reprise au début 2020 dans le cadre d’une collaboration tripartite entre l’ensemble Caprice, Early Music Seattle et la Bach Society of Minnesota.
Dans Motezuma comme dans les concerto « La Francia », l' »Inghilterra »et la « Spagna » des Quatre nations, Maute cherche à camoufler ses ajouts en collant le plus fidèlement possible au style de Vivaldi. À ce titre, le Prêtre roux lui facilite un peu la vie, puisqu’il avait lui-même l’habitude de « recycler » ses compositions sous de nouvelle formes. L’arrangeur moderne pouvait donc se permettre non seulement de s’appuyer sur certaines œuvres authentiques de Vivaldi comme modèles, mais même d’inclure des citations au sein de ses reconstitutions.
Décrire le résultat comme des reconstitutions est malgré tout un peu généreux, puisqu’il ne s’agit pas d’un travail à partir d’une esquisse ou d’un extrait retrouvé qui aurait orienté le travail de reconstitution. Les seuls aspects entièrement attribuables à Vivaldi sont les titres. Mais en tant que pastiches, ils sont très réussis. Matthias Maute préfère les considérer comme une « hypothèse pour quelque chose qui serait resté silencieux autrement. (…) C’est un jeu de masques, où on joue avec la réalité. »
Conserver l’intégrité du style de Vivaldi restait une préoccupation de premier ordre. La partition redécouverte d’Il Gran Mogul a servi d’étalon, en ce sens qu’elle donne une idée jusqu’où pousser la caractérisation de chaque représentation nationale : l’aspect descriptif de la musique n’y est certainement pas aussi remarquable que dans Les quatre saisons.
De courtes pièces de chaque pays servent de préludes à chaque concerto, « ouvrant la porte » – et les oreilles – aux caractéristiques musicales se camouflant dans l’œuvre suivante.
Pour Matthias Maute, ce programme jouant sur les perceptions est un exemple de ce que les arts peuvent apporter à la vie, un autre regard sur la réalité. Il espère que même sur disque, l’auditoire écoutera la version qu’il propose de ces œuvres en acceptant qu’il ne s’agit pas d’une question de décerner le vrai du faux, mais de s’en détacher pour vivre un moment de magie.