Ludwig Van Montreal

CRITIQUE | Un Requiem de Verdi percutant, mais manquant de relief

Les forces combinées du choeur et de l'Orchestre symphoniques de Montréal accompagnant les solistes Joyce El-Khoury, Rhiab Chaieb, Oreste Cosimo et Adam Palka, vendredi soir dernier. (Photo : Antoine Saito)
Les forces combinées du choeur et de l’Orchestre symphoniques de Montréal accompagnant les solistes Joyce El-Khoury, Rihab Chaieb, Oreste Cosimo et Adam Palka, vendredi soir dernier. (Photo : Antoine Saito)

Heureusement que les murs de la Maison symphonique sont plus solides que les conduites d’eau de Ville-Marie, parce que Rafael Payare et l’OSM les ont mis à rude épreuve vendredi soir avec un Requiem de Verdi d’une puissance à réveiller les morts!

Depuis son arrivée à la tête de l’OSM, Rafael Payare a démontré qu’il excelle à faire éclater les forces déchaînées d’un orchestre qui ne demande pas mieux que de les lui livrer. Il suffit de repenser à la frénétique rendition du Sacre du printemps de septembre dernier, qui restera longtemps dans les annales, ou à l’exécution ramassée et percutante de la Septième symphonie de Mahler en janvier de cette année, qui se jouait de ce que certaines analyses considèrent être des caractéristiques problématiques de l’œuvre.

Le fougueux chef aborde le Requiem de Verdi dans le même esprit, avec des résultats moins convaincants. Ce jugement mitigé n’est certainement pas attribuable à un manque d’impact sonore : les différentes itérations du Dies Irae atteignaient un seuil de décibels presque à la limite du tolérable.

Si cette façon qu’a Payare de resserrer le discours musical donne de l’élan et fait ressortir l’architecture dans Strauss, Mahler ou Chostakovitch, au contraire, elle embrouille Verdi en escamotant des détails de texture ou de conduite des voix qui lui donneraient du relief.

 

Rafael Payare excelle à faire éclater les forces déchaînées d’un orchestre qui ne demande pas mieux que de les lui livrer. (Photo : Antoine Saito)

Malgré l’écriture opératique employée par Verdi dans le Requiem, ou plutôt justement à cause de celle-ci, il est primordial d’aborder cette œuvre d’abord et avant tout comme un oratorio, de pousser ses différentes parties – solistes, chœur et orchestre – à interagir et à interpréter leurs lignes en respectant la nature du genre, et non comme des personnages d’opéra en manque d’une intrigue. Est-ce que j’entends par là que l’exécution de vendredi soir manquait de ferveur religieuse? Effectivement, mais si on veut en rester au plancher des vaches et parler technique, il aurait suffi de porter attention à la forme de la ligne mélodique et de prendre conscience des intervalles (mélodiques et harmoniques), les faire parler, pour déjà atteindre un autre niveau de sens.

L’exemple de l’Agnus Dei peut très bien servir à illustrer ce qui manquait à l’ensemble de la prestation. Le mouvement est entonné par la soprano et la mezzo solistes, en octaves, ce que Joyce El-Khoury et Rihab Chaieb ont fait avec fondu et retenue. Une fois la phrase a cappella « Agnus Dei, qui tollis peccata mundi, dona eis requiem » (Agneau de Dieu, qui enlève le péché du monde, donne-nous la paix) complétée, le chœur et l’orchestre la reprennent en monodie, c’est-à-dire que plus de 150 personnes chantent et jouent exactement la même chose, exactement en même temps. Il faut que ça veuille dire quelque chose. Non seulement ça, mais la présentation d’une mélodie présentée dans la plus grande sobriété par deux voix féminines seules et sa reprise par un grand nombre de voix et d’instruments, comme happés par la force de cet appel, doivent également avoir un sens. Quand par la suite, les instruments ajoutent des lignes accompagnatrices, il faut que ces lignes viennent sculpter leur présence dans ce monolithe pour faire émerger quelque chose de nouveau. Vendredi soir, aucun de ces changements de texture n’a été mis en relief : on a traversé l’Agnus Dei comme si on traversait un couloir d’aéroport, pressé de se rendre au bout.

Il y a tout de même eu plus de positif que de négatif au cours de la soirée : le chœur et l’orchestre se sont dépensés sans compter pour rendre le texte musical avec le maximum d’intensité exigée par le chef. À l’opposé du spectrum de nuance, le début était magnifiquement doux et senti, de la part des cordes graves et du chœur. L’effet « surround » des trompettes disposées à la mezzanine de chaque côté de la scène, répondant aux trompettes principales sur scène, était tout à fait réussi.

 

La soprano Joyce El-Khoury et la mezzo Rihab Chaieb. (Photo : Antoine Saito)

Joyce El-Khoury et Rihab Chaieb ont affiché une communion exceptionnelle, allant jusqu’à se tenir par la main lors d’un duo. De façon générale, Chaieb s’est démarquée par son engagement musical. La basse polonaise Adam Palka possède un timbre agréable, chaleureux, et une voix qui projette bien, la diction en moins. Le ténor Oreste Cosimo n’est pas sans qualités non plus, mais était l’élément le moins intéressant du quatuor vocal.

Le chœur a offert une exécution solide, bien préparée par Andrew Megill, une préparation qui ne suffira cependant jamais à pallier l’absence d’interventions ciblées de la part du chef sur le podium pour nettoyer les consonnes finales.

Dans le contexte de cette Virée classique à la thématique méditerranéenne, le Requiem de Verdi représentait un excellent choix de programme, ralliant à la fois les mélomanes avertis et les néophytes qu’on veut convaincre que la musique classique n’est pas plate. Espérons que les files aperçues à la billetterie de la Place des arts au cours de la fin de semaine comptaient en leur nombre des converti·e·s voulant se procurer des billets pour des concerts de la saison régulière.

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