
Détermination. Charisme. Force de caractère. Vision. Si on vous demande quelles sont les caractéristiques d’un.e bon.ne chef.fe, voilà probablement quelques unes des réponses que vous donneriez. Tout cela, la cheffe invitée de l’Orchestre Métropolitain Glass Marcano l’a en abondance. Il suffit de passer deux minutes en sa compagnie pour comprendre ce qui a séduit tout le monde – orchestre, public, jury – lors sa participation au premier concours La Maestra à Paris en 2020.
Son histoire a de quoi toucher les coeurs : la jeune femme, cheffe de l’Orchestre symphonique des jeunes du Conservatoire Simón Bolívar et étudiante en droit (pour satisfaire aux exigences parentales), gagnant sa vie en travaillant à l’étal de fruits de ses parents, a dû procéder à une campagne de financement auprès de son entourage pour récolter les 150 euros nécessaires pour s’inscrire au concours. À cause des restrictions posées par la pandémie, c’est par vol humanitaire qu’elle quitte le Venezuela pour se rendre à Paris. À l’issue du concours, elle obtient le Prix de l’Orchestre, et le soutien de nombreux chef.fe.s ayant reconnu son potentiel, comme Claire Gibault, Marin Alsop et François-Xavier Roth, potentiel qu’elle développe depuis par des études au Conservatoire de musique de Paris.
En entrevue, la cheffe de 27 ans s’est confiée sur les différences dans la façon d’aborder la musique et les répétitions d’orchestre entre le Venezuela et l’Europe, les difficultés qu’elle a vécues à la suite du concours La Maestra et l’importance de rester soi-même pour trouver le bonheur.
LvM : Vous voyagez de plus en plus pour des engagements auprès de différents orchestres, alors que vous n’aviez jamais pris l’avion avant de vous rendre à Paris pour le concours La Maestra. Est-ce que vous commencez à vous habituer à cette nouvelle vie?
GM : Maintenant, oui. Avant, quand j’étais au Venezuela, c’était différent. La musique, avec El Sistema, c’est un projet social au Venezuela. L’incroyable, c’est que si j’habite dans une ville, il y a dix orchestres. Le premier orchestre a été fondé en 1970, ils étaient onze musiciens et n’avaient même pas de chaises. Maintenant, El Sistema compte plus de un million de musiciens. Il y a 24 villes plus importantes au Venezuela, et chaque ville a cinq ou six orchestres. Ça c’est vraiment magnifique. Il y a plein d’occasions de diriger sans voyager loin. Et on a un mois pour préparer un programme. Maintenant, je dois apprendre à tout faire en deux ou trois jours de répétitions!
LvM : Comment avez-vous adapté votre technique de répétition?
GM : Ouf!! (soupir dramatique!) Je suis encore en train de me découvrir comme cheffe d’orchestre! Mais il faut demander les choses très précisément pour que ça aille plus vite. Mon objectif quand je répète une oeuvre, c’est de faire que tout le monde entre dans la même histoire – qui ne correspond peut-être pas à la tradition, mais au Venezuela, on ne connaît pas la tradition de cette musique!
LvM : Quand vous avez participé au concours La Maestra, vous avez été la révélation de l’année, tout le monde a été touché par votre histoire et votre talent. Avec le recul, comment parleriez-vous de votre vie d’alors par rapport à maintenant?
GM : Après La Maestra, pour moi, tout était vraiment dur. Avant, j’étais une personne super-normale, je travaillais au magasin de fruits, et la semaine suivante, je suis la star d’un concours! La première année, je n’ai pas pu en profiter, j’ai fait beaucoup d’anxiété. Après un concours, tout le monde dit « c’est la nouvelle cheffe à suivre! », alors que moi, je dois prendre le temps de travailler, pour faire du progrès. À chaque fois que j’allais à un orchestre après La Maestra, c’était vraiment difficile.
Maintenant, je suis en train de sortir de la dépression qui a suivi La Maestra. Quand ta vie change et que tu n’y étais pas préparée, c’est vraiment dur. Après le concours, moi, j’ai fait subito piano! D’un coup! Après, j’ai commencé à faire un crescendo, et depuis, je suis toujours en crescendo! Mais chaque fois que je retourne travailler avec un orchestre, il faut que je puisse montrer que je suis à un meilleur niveau que la première fois où on a travaillé ensemble. C’est exigeant!
LvM : Après le concours, plusieurs chef.fe.s bien établi.e.s, conscient.e.s qu’il ne fallait pas vous lancer sur la scène immédiatement, vous ont offert du soutien et des cours de maître.
GM : Moi, j’ai ma propre personnalité, mais à chaque fois que j’observe quelqu’un de connu, avec beaucoup d’expérience, je prends ce qu’il y a d’intéressant chez ce maître et je l’intègre à ma personnalité. J’ai compris que chaque chef mène ses répétitions de façon différente. Une fois, alors que je parlais avec une musicienne en Espagne, je lui ai dit que je cherchais la bonne façon de faire les répétitions, et elle m’a dit, « Mais, est-ce qu’il y a une seule bonne manière de faire les répétitions? »
Le premier professeur que j’ai eu à Paris me demandait de me restreindre, de faire des gestes plus petits, et ça, c’est vraiment difficile pour moi, parce que je suis explosive! Parfois je peux faire des gestes plus petits, mais pas tout le temps. J’ai fini par me dire, si je change ma personnalité, c’est quoi l’objectif de la vie? L’idée, c’est que la carrière t’aide à développer ta personnalité – mais pas de la changer!
LvM : Vous avez tenu à terminer vos études de droit alors que vous étudiiez déjà la direction d’orchestre, pourquoi?
GM : Parce que les familles latines, elles sont comme ça! Elles ne croient pas que la musique permette de gagner sa vie! Quand je suis allée étudier dans la capitale du Venezuela, ma mère m’a posé comme condition que j’étudie autre chose en même temps que la musique. Il y avait une place d’étude en droit, alors je me suis inscrite, et maintenant, je suis avocate! C’est bizarre, hein! Mais c’est génial, aussi! Tout le monde me dit, Glass, comment as-tu fait, et je ne sais pas! À chaque fois que j’étais dans les cours, j’avais mes partitions à côté de moi et je les étudiais dès que je pouvais. Tout le monde me connaissait et disait « Ah, c’est la cheffe d’orchestre! »
Un jour, je dirigeais le premier mouvement de la Deuxième symphonie de Brahms en concert, et j’ai invité ma mère. Après le concert, elle me regarde et elle me dit, « Tu peux arrêter la carrière d’avocat maintenant si tu veux. » Mais je voulais finir, pour fermer le cycle.
Vous connaissez Daniel Harding, le chef qui est aussi pilote d’avion? Ça paraît dans son bras, il y a beaucoup d’air sous son geste, c’est magnifique. Alors pour moi, l’influence que ça a d’être avocate, ça doit être de parler vraiment fort! (rires)
Aussi, moi, je suis une rapper, je fais du rap, c’est ça que j’aime beaucoup. Je m’habille comme aujourd’hui (montrant sa chemise à col et son chandail beige) seulement pour impressionner, mais après, quand la répétition est terminée, je mets ma casquette et je redeviens la rapper!
Un jour, je me suis dit, si tu veux continuer dans cette carrière, il faut que tu sois heureuse. Et comment je peux être heureuse? En étant moi-même. Et moi, je suis rapper. C’est comme ça, ça fait partie de ma personnalité. La cheffe d’orchestre, la rapper – j’aime beaucoup ça!
Glass Marcano dirige l’Orchestre Métropolitain dans un programme d’oeuvres de compositeurs sud-américains et dans la Quatrième symphonie de Tchaïkovski lors de quatre concerts ayant lieu de mercredi à samedi.
LE 15 MAI, 19 H 30, ÉGLISE NOTRE-DAME-DES-SEPT-DOULEURS (VERDUN)
LE 16 MAI, 20 H, ÉGLISE SAINT-JOACHIM (POINTE-CLAIRE)
LE 17 MAI, 19 H 30, MAISON SYMPHONIQUE
LE 18 MAI, 16 H, ÉGLISE SAINT-ESPRIT DE ROSEMONT