Ludwig Van Montreal

ENTRETIEN | Jean-Sébastien Vallée: « La musique permet de rassembler des gens qui pensent différemment »

L’album Distances est publié chez ATMA Classique. (Photo de Jean-Sébastien Vallée: courtoisie)

Parmi les très beaux albums de ce printemps 2021, celui du Chœur de l’église St. Andrew and St. Paul, Distances, est à la fois une réussite et un exploit. Enregistré en pleine pandémie, il présente un large répertoire axé, comme son titre l’indique, sur le thème bien choisi de la distance et de l’isolement, à travers les époques. Un album qui réconcilie le passé et le présent, et fait assurément du bien.

Alors que l’ensemble, qui a le don de choisir des titres de circonstances, s’apprête à donner un concert intitulé New Normal, ce samedi 29 mai, 19 h, le moment est bien choisi pour discuter de cet album et du concert avec son chef et directeur de ce chœur montréalais très dynamique, Jean-Sébastien Vallée.

LvM: Comment avez-vous choisi les pièces figurant sur l’album? 

Jean-Sébastien Vallée: « Ce sont des choix qui représentent différents aspects de ce qu’on a vécu pendant la pandémie, d’un côté l’isolement, mais aussi le sens de la communauté. La musique qu’on a choisie rejoint l’unité de ces sentiments-là. On a par exemple une pièce de Sulpitia Cesis, une soeur cloîtrée dans un couvent en Sicile, donc isolée du monde. »

LvM: quand avez-vous réalisé l’enregistrement? 

Jean-Sébastien Vallée: « Au début de novembre 2020, et nous avons réuni 24 chanteurs. »

LvM: les mesures sanitaires ont-elles compliqué les choses, par exemple, les chanteurs devaient-ils se tenir éloignés les uns des autres?

Jean-Sébastien Vallée: « Évidemment, il fallait suivre les règles de l’UdA et les règles sanitaires. Pour toutes les répétitions, on portait le masque et on gardait deux mètres entre chaque chanteur, de chaque côté, ainsi que devant et derrière, ce qui veut dire que chaque chanteur avait quatre mètres carrés autour de lui. Nous avons donc utilisé la moitié de l’église pour placer les chanteurs. On a enlevé nos masques seulement pour l’enregistrement. C’était un bon défi en répétition pour apprivoiser ces distances et demeurer ensemble, et pour la captation, on avait plus d’espace à couvrir, donc plus de micros. Moi, en tant que chef, à l’avant, j’avais une moins bonne perception de la balance, alors je devais collaborer davantage avec le producteur musical, Simon Rivard.  »

LvM: diriez-vous que cette distanciation physique s’entend sur l’enregistrement? 

Jean-Sébastien Vallée: « On a tellement travaillé sur le fait de mieux s’écouter pour être plus ensemble, à cause de la distance, qu’à mon avis, c’est notre album où les voix sont le plus ensemble. Le timbre et la justesse aussi se sont améliorée. Comme chaque chanteur entend mieux sa propre voix que lorsqu’il est proche des autres, il a tendance à mieux chanter, grâce à cette perception accrue, et à utiliser sa voix à meilleur escient. Quand on entend les voix autour de nous, cela affecte notre propre technique. En même temps, à travers les deux semaines de répétition, ils ont progressé en raison des circonstances et gagné de la confiance, en eux et envers les autres. Une fois qu’on a dépassé la peur de travailler de cette façon, on apprécie cette sorte de nouvelle liberté. Je suis vraiment impressionné du résultat. On s’est même dit que lorsque les choses reviendraient à la normale, on chanterait un peu moins « collés » qu’avant. »

LvM: vous avez enregistré une pièce en lien avec l’attentat de la mosquée de Québec de 2017? 

Jean-Sébastien Vallée: « Oui, la pièce Ni de l’est, ni de l’ouest, une création de William Kraushaar, qui chante également dans le chœur comme basse. C’est une commande que j’ai faite avec lui en 2020, en mémoire des victimes de cette tuerie. Elle est en français avec la fin, en latin. Cela nous rappelle aussi que la distance, en 2020, ce n’était pas aussi celle obligée de la pandémie, mais une distance sociale, aussi, entre différents groupes, comme le mouvement Black Lives Matter, entre autres. C’est une distance physique et idéologique, parfois. La musique permet de rassembler les gens qui pensent différemment, c’est l’approche qu’on a voulu prendre. »

LvM: « Aimeriez-vous ajouter autre chose sur ce chœur?

Jean-Sébastien Vallée: « Sur ce disque, nous avons 24 chanteurs professionnels. Un an avant la pandémie, on a commencé à travailler pour rendre ce groupe encore plus professionnel, nous avons des attentes élevées et on vise l’excellence, car ce qu’on veut établir avec le chœur de St. Andrew et St.Paul, c’est un ensemble professionnel qui explore un répertoire plus éclectique que d’autres ensembles déjà établis, par exemple, en musique ancienne. L’avantage du chant choral, c’est son immense répertoire, qui couvre toutes les époques. Je pense que le pouvoir de la voix humaine à passer un message, ça se transmet mieux à travers plus qu’un style, au lieu d’être ancré dans une seule époque, et c’est ce que nous avons fait avec cet album. »

Mes « coups de cœur » personnels

Note de Caroline Rodgers: après quelques écoutes, voici trois pièces dont je recommande l’écoute sur l’album Distances du chœur de l’église St. Andrew & St. Paul, publié chez ATMA Classique. 

O crux splendidior (Sulpitia Cesis)

Ni de l’est ni de l’ouest (William Kraushaar)

When the violin (Reena Esmail)

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Concert: le retour à la normale, la diversité et l’inclusion

Le concert sera présenté en webdiffusion, sur la chaîne YouTube d’A&P Music, à partir du samedi 29 mai, 19 h, et demeurera accessible par la suite.

Il ne s’agit pas du répertoire de l’album Distances, car celui-ci avait déjà été donné en concert, mais d’un tout autre programme, axé, cette fois, sur le retour à la normale qui approche.

« Personnellement, j’ai hâte de sortir et d’aller à des concerts, mais j’ai des collègues qui sont nerveux, dit Jean-Sébastien Vallée. Ce concert est le reflet de ce retour à la normale qui s’en vient. Il y a des gens pour qui c’est stressant. Une des choses qu’on a voulu retirer de la dernière année, pas nécessairement en lien avec la pandémie, mais avec le désir d’inclusion dans la musique classique. On a donc une œuvre d’Andrew Balfour, un compositeur de la communauté crie du Manitoba, qui reflète son désir de réconcilier ses origines autochtones avec la musique classique. On a aussi une pièce de Nathaniel Dett, compositeur canadien et afro-américain, un oratorio d’une quinzaine de minutes, ainsi que plusieurs autres. C’est un concert très varié, avec de la musique de différentes époques et des poèmes lus en alternance. »

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