Dimanche après-midi avait lieu la quatrième édition de Chaconne et chocolat, fruit sucré de l’imagination de la directrice artistique des Idées heureuses Dorothéa Ventura. C’était cette fois la délicate chaconne anglaise et son goût affirmé pour le mode mineur qui faisait l’objet d’une délectation assortie.
Le programme rassemblait des œuvres vocales et instrumentales de John Banister, John Eccles, John Blow, William Croft et Henry Purcell, ainsi qu’une transcription pour cordes seules réalisée par Dorothéa Ventura du deuxième mouvement du Concerto pour orgue en sol mineur, op. 7 no 5 de Händel.
Si ce concert a démontré une chose, ce sont les immenses qualités expressives de la musique de Purcell. Malgré des interprétations irréprochables, le début du concert peinait à prendre son envol, et ce malgré l’effort mis à resserrer la présentation en enchaînant les œuvres par groupes de deux ou trois. Plus le programme affichait de compositions de Purcell, plus l’intérêt était soutenu.
Cette constatation me peine un peu, étant moi-même partiale à la musique de ces compositeurs. Expérience faite, il semble que sa gracieuse élégance ne gagne pas à être rassemblée en morceaux de mêmes genres.
Réussites des interprètes
Janelle Lucyk a subjugué l’auditoire avec une interprétation du « Dido’s Lament » tiré de Dido and Aenas de Purcell empreinte d’une retenue douloureuse : pas un seul cri n’est venu soulager la tension, l’intolérable agonie de la reine mourante ne pouvant être exprimée que par quasi-chuchotements entrecoupés. L’ensemble a d’ailleurs eu la bonne idée de le reprendre en rappel, dans un arrangement modernisé et augmenté d’un commentaire chanté par le ténor, imaginé par Jean-François Daignault et intitulé Dido gently weeps her lament.
Pour le contre-ténor Ian Sabourin, membre de l’Atelier lyrique de l’Opéra de Montréal, le moment fort a été l’éclatant Awake harmonious pow’rs, composé par John Eccles pour l’anniversaire de la reine en 1704, la qualité cristalline de sa voix s’y trouvant pleinement exploitée.
Quant à Kerry Bursey, qui faisait double emploi comme ténor et comme luthiste, il a offert une très belle interprétation de O Solitude de Purcell pour laquelle il s’accompagnait lui-même au luth, plaçant l’exécution en parfaite adéquation avec le texte.
La basse William Kraushaar s’est avéré une découverte. Le chanteur à la voix résonnante, qui fait également carrière en tant que compositeur, a offert des « wondrous » regorgeant d’émerveillement contagieux dans « The wondrous machine » tiré du Hail! Bright Cecilia de Purcell.
Chez les instrumentistes, Andrea Stewart (violoncelle) et Dominic Girard (contrebasse) se sont distingués par un continuo sensible et raffiné. Si les deux violonistes Tanya Laperrière et Julie Rivest ont chacune eu l’occasion d’être mise en valeur, les parties d’alto dans ces musiques n’offrent pas l’occasion de briller à leur interprète. À notre oreille d’altiste, Sari Tsuji aurait pourtant pu se permettre d’en donner plus dans les jeux d’alternance avec les cordes graves dans « With him he brings the partner of his throne » extrait de Ye Tuneful Muses de Purcell.
De sa place au centre de la scène, Dorothéa Ventura a gardé un oeil bienveillant sur le déroulement de ce programme qu’elle avait modelé, tout en l’accompagnant au clavecin – jusqu’au moment où elle est venu joindre sa voix au quatuor de solistes pour une version SSATB + contrebasse en pizzicato du très beau « Music for a While » (Oedipus) de Purcell (arrangement de Jean-François Daignault).
Après la France, l’Italie, l’Allemagne et maintenant l’Angleterre, où nous transportera la prochaine édition de Chaconne et chocolat? Y aurait-il des trésors inconnus à découvrir du côté de la Pologne ou de la Bohème?
ERRATUM- Une correction a été apportée au nom du ténor Kerry Bursey, qui était indiqué de façon erronée comme étant Bursley.
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